Sila s'immobilisa. Elle fit lentement glissé son sac sur le sol avant de baisser les yeux et d'inspirer profondément. Elle n'aurait jamais pensé que les derniers mètres seraient si difficiles à faire. Ses doigts se resserrèrent sur les lanières, elle prit une profonde inspiration, se prépara mentalement à faire un pas... puis se dégonfla et s'assit sur le banc qui se trouvait juste derrière elle. Il lui suffisait de traverser la rue. Par la porte ouverte de l'auberge, elle voyait le comptoir, une table où quelques clients s'attardaient, d'autres qui sortaient ou entraient par petits groupes, rarement en solitaire. Rien que d'imaginer qu'il se trouvait dans une des chambres qui se trouvaient dans l'un des trois étages que comportait le bâtiment, son cœur s'emballait, sa gorge se serrait et elle sentait sa volonté fléchir. Aurait-il changé ? La reconnaitrait-il ? Serait-il heureux de la voir ? Et puisque l'on est dans ce registre : serait-elle heureuse de le voir ? Questions stupides... Bien sûr qu'il la reconnaîtrait. Elle avait beau avoir considérablement grandit depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vu, elle n'avait pas fondamentalement changée, se muant simplement en une adolescente plus mûre, au corps déliée qui n'avait déjà plus tout à fait les contours de l'enfance. S'il aurait changé ? Bien sûr, l'image du pré-adolescent trop fin, aux traits trop lisses et à la voix pas tout à fait mûre qu'elle en avait gardé risquait certainement de ce briser sur l'écueil des années. Non, ce n'était pas cela qui l'inquiétait, elle le savait... La véritable question était de savoir si elle allait retrouver le garçon qui l'avait quitté.
Lançait-il toujours des remarques hypocrites le plus naturellement du monde ? Sans se préoccuper de savoir si les autres pouvaient s'en sentir blessés ? Par hasard, aurait-il appris à être aimable et prévenant ? Était-il toujours mélancolique ou au contraire plus épanoui ? Savait-il toujours déstabiliser les autres par ces regards assassins qui n'appartenaient qu'à lui ? Lâchait-il toujours d'une voix égale et méprisante des ordres sardoniques et irritants ? Regardait-il toujours autours de lui avec cette indifférence prétentieuse qui le plaçait de facto dans une catégorie spéciale d'êtres toujours en décalage avec les situations, les actions, les réactions considérées comme normales ? Avait-il poursuivit la danse ou s'était-il concentré sur ses études ? Comment vivait-il ? S'était-il fait des amis ? Cette dernière interrogation lui fit prendre conscience qu'un tel événement la choquerait. Oz avait toujours été entouré par des gens attirés par son magnétisme, qui cherchaient simplement à se faire valoir, recherchant davantage leur intérêt personnel dans ces relations superficielles plutôt que sa véritable amitié. Que cette situation ait pu changer la perturbait au delà de la perte de simples repères. Elle n'aimait pas cette idée et elle ne s'aimait pas de ne pas l'aimer. D'ailleurs, en parlant d'amitié, l'avait-il seulement accorder à quelqu'un dans sa vie ? Son frère peut être... Une amitié et une affection teintée d'estime jusqu'à ce qu'il le quitte. Et la concernant... la concernant... Non. Elle n'était pas son amie. On ne s'enferme pas dans une tour d'ivoire face à ses amis, on ne s'évertue pas à les maintenir à distance, on ne les abandonne pas lâchement. Elle se souvenait encore de ce qu'il lui avait dit ce jour-là. Ces mots qu'elle avait préféré oublier ressurgissaient avec violence dans son esprit maintenant qu'elle s'apprêtait à le revoir. C'était douloureux, sans qu'elle ne sache pourquoi, sans qu'elle n'accepte de savoir pourquoi.
« Sila sursauta en entendant la clef actionner la serrure de sa porte. Le lendemain matin de son escapade, le récit des évènements s'était répandu comme une traînée de poudre. D'abord limité au cercle des jeunes branchés, il s'élargit à celui de la jeunesse dorée à laquelle appartenait nos jeunes héros. Puis de fil en aiguille, il avait été rapporté aux domestiques, enjolivé ou empiré au possible. Enfin, il était parvenu aux oreilles des adultes de tout ordre et de toutes les couches sociales, soulevant un courant d'indignation vis à vis du manque de sécurité dans les rues qui menaçait leurs enfants. Toujours est-il qu'à onze heures six précises du matin quand Sila s'était réveillée, toute la ville était informée de ce qu'il s'était passé et, concernant des préoccupations plus immédiates, ses parents l'étaient aussi. Jamais encore elle n'avait subi les foudres de son père. L'apprenant réveillée, il avait fait irruption dans sa chambre dans une fureur qui avait immédiatement renseigner l'intéressée sur sa connaissance des crimes qui lui étaient reprochés. Pendant près d'une demi-heure, ce ne fut qu'invectives et hurlements auxquels la jeune fille se gardait bien de répondre, repliée sur elle même avec un petit air effrayée sur le visage. De toute façon, elle aurait été bien incapable de se défendre. A entendre son père, c'était elle qui avait aguiché la moitié de la boîte de nuit avant de suivre Danny et son pote dehors accompagnée de Julia. En somme, heureusement que Oz et Kenzo étaient intervenu sinon, on ne savait pas quelle opprobre pour la famille Jones Sila aurait pu commettre. S'en suivit un chapitre sur la réputation familiale et l'immense déception qu'elle représentait pour son père.
La version trafiquée faisait paraître Oz comme un ange de bonté et d'altruisme qui se serait lancé au secours des deux jeunes filles en n'écoutant que son courage, aux côtés du fidèle et charmant Kenzo afin de les protéger du mal, à savoir Danny et son pote. On oubliait simplement au passage que Oz connaissait visiblement personnellement les deux agresseurs et qu'il avait donc une part de responsabilité dans cette affaire, sans parler du fait évidemment qu'il ne s'était pas plus inquiété que les autres à première vue lorsque les deux amies avaient quitté la boîte de nuit, vulnérables et démunies face aux dangers que pouvait représenter le fait de trainer seules dans la rue le soir pour deux jeunes filles innocentes. Finalement, son père était sorti en claquant la porte sans qu'elle n'ait placé un seul mot, lui indiquant qu'elle serait privée de sortie pour une période indéfinie et qu'il ne voudra la revoir que lorsqu'elle se montrera raisonnable et lui fera des excuses. Ce fut à peu près à ce moment là que Sila était sorti du brouillard comateux qui suit généralement le réveil tout en se préparant à subir les conséquences de son inconséquence... De fait, lorsqu'en début de soirée elle entendit le fameux mécanisme de verrouillage de la porte de sa chambre s'actionner, elle fut éminemment surprise d'être si vite pardonnée. Elle aurait du se douter que quelque chose de louche se cachait là-dessous.
-Mademoiselle, votre père vous demande de descendre dans la véranda si vous le voulez bien.
Pour commencer elle ne le voulait pas, mais dans sa situation refusée eut été signer son arrêt de mort. Elle se leva donc, apprêtée comme toute jeune fille de bonne famille se devait de l'être quand bien même elle était consignée dans sa chambre et suivit la domestique jusqu'à la véranda à la porte de laquelle elle s'immobilisa.
-Sila ! Je t'en prie, vient saluer nos invités.
Sa mère avait pris ce ton mondain que Sila lui connaissait concernant toute personne étrangère au cercle familial des Jones même si en l'occurrence les fameux invités pouvaient sans problème être considérés comme des membres à part de la famille. Bizarrement elle sentait le piège. Que faisaient-ils chez elle, surtout après ce qui venait de se passer ? Pourquoi tout le monde l'observait avec cet air légèrement géné mais en même temps condescendant ? Pourquoi son père lui souriait-il avec un petit air désolé et solidaire ? C'était on ne peut plus louche. Elle s'avança donc à leur rencontre avec une légère appréhension qu'il n'était guère difficile de deviner jusqu'à ce qu'elle parvienne devant l'adulte qui l'avait tant intimidée lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois petite.
-Bonjour monsieur Roland.
-Bonjour Sila, je suis heureux de voir que tu vas bien.
-Oui, merci.
Faisait-il référence à la soirée qu'elle venait de passer ? N'était-ce qu'une simple formule de politesse ? Elle lui tendit une main qu'il baisa en parfait gentleman, cette attitude que son fils détestait tant parce qu'irréprochable et hypocrite, cette attitude dans laquelle ils avaient toujours baignés sans jamais en être dupes. La jeune fille ne lui prêta qu'une attention minime, cherchant le regard de son fils en grand échange de banalités avec Jones père. Oz sourit avec charme, chaleur et humilité à une réflexion de son soit-disant futur beau père, ce qui acheva de paniquer Sila. A quoi tout cela rimait-il ? Alors que son père se relevait et lui s'écartait pour lui laisser la place, Oz se tourna enfin complètement vers elle comme s'il avait patiemment attendu de pouvoir la saluer en bonne et due forme. Les yeux de Sila abandonnèrent leur calme observation pour se mettre à le dévisager alors que ses muscles se tendaient sous l'effet de la surprise puis de la colère. Les traces d'une griffure apparaissait sur son coup, juste au-dessus du col de sa chemise tandis que son arcade sourcilière gauche restait toujours un peu enflée dans une affreuse teinte jaunâtre malgré qu'elle ait été dument soignée comme l'attestaient les fils qui l'avaient recousu et les deux minuscules pansements blancs qui servaient visiblement à maintenir les chairs en place. Impossible que sa réaction surprise et choquée ait pu échapper à qui que ce soit et surtout pas à lui qui devait savoir mieux que quiconque ce qui la suscitait. Néanmoins, si ce fut le cas, il l'ignora magistralement et s'inclina à son tour pour lui prendre une main tétanisée et l'effleurer de ses lèvres comme le voulait l'étiquette de leur milieu. Petite fantaisie pour rajouter à l'illusion dramatique de la scène ? Alors que Sila reprenait peu à peu ses esprits, encore tétanisée par ce jeu d'acteur époustouflant, il se permit de lui faire la bise, signifiant de ce fait à leurs parents respectifs un rapprochement qui n'avait jamais eu lieu.
-Je...
-Tu dit quoique ce soit, la moindre remarque et je te tue.
Ça avait le mérite d'être clair. Au moins, Sila sentit une profonde angoisse volée en éclat. Oz était bel et bien lancé dans un numéro d'acteur, elle n'avait pas besoin de s'inquiéter, simplement de lui faire confiance. Peu importe la façon dont il s'y était pris, il avait certainement trouvé un moyen d'apaiser les foudres de son père à propos de sa fille. Elle ne voyait que ça. Lorsqu'il s'écarta, ils furent invités à prendre place autours du salon qui donnait sur la véranda et les domestiques s'occupèrent à leur servir à boire tandis qu'une conversation immensément banale s'engageait. Le plus sidérant dans cette histoire étant qu'Oz y participait. C'était limite traumatisant pour être honnête mais ne sachant où il voulait en venir, elle ne pouvait que lui faire confiance.
-Oui, c'est un mobilier terrien que l'on a fait venir de France.
-De très bon goût comme toujours.
-J'avais quelques doutes mais finalement le style classique ne cessera jamais de me séduire.
-Personnellement, j'ai un penchant pour l'esthétisme anglaise.
-Son bureau en est la parfaite illustration.
-Moi même j'aurais quelques conseils à vous demander sur ce sujet puisque nous en parlons.
Sila se contenta de rester silencieuse tout en sirotant son verre de champagne. Du champagne ? Que fêtait-on au juste ? Et à quoi rimaient toutes ces simagrées ? Oz franchement... Ce devait être une raison suprême pour qu'il accepte de se comporter avec cette hypocrisie, feignant presque d'être intéressé. A le regarder comme ça, on aurait presque eu l'impression qu'il était le garçon modèle et rêvé que toute riche famille désirait pour héritier. La question de la boîte de nuit fut soigneusement éviter et plus que jamais Sila s'interrogeait sur la raison de ses tergiversions. Lui faisait-on une mauvaise blague ? Si seulement elle avait su...
-D'ailleurs en parlant de Sannom, je propose un toast !
Richard Roland se leva en présentant son verre à un domestique qui s'empressa de le remplir, immédiatement imité par son ami et collègue de toujours à savoir le père de Sila puis par l'épouse de ce dernier pendant que Sila lançait un regard qui témoignait de sa totale incompréhension à l'ignoble individu qui se faisait passer pour l'archange de cet univers. Elle se leva à son tour en tenant son verre, ne trouvant aucune raison de se dérober à l'usage, imitée en miroir par l'imposteur qui ne fuyait son regard. Lorsqu'elle retrouva ses yeux, elle sentit son cœur bondir d'angoisse dans sa poitrine. Que signifiait ce regard-là ? Qu'essayait-il de lui dire ? Pourquoi avait-elle le pire pressentiment qui soit ?
-A Oswald et à son admission à l'Académie !
-A Oswald !
-Bonne chance mon garçon !
Trahison. Colère. Vide. Regret. Mensonge. Rage. Le verre de champagne tomba dans un bruit mat sur le tapis qui passa totalement inaperçu tandis que les autres venaient de lever leur verre à leur lèvres et en savourait une gorgée. Dire qu'il les imitait. Dire qu'il osait, c'était le cas de le dire, se joindre à cette réjouissance minable et usurpatrice. A quoi jouait-il ? Qu'est ce que c'était que cette dégoutante mise en scène ? Est ce que... Le sale traitre... Comment il pouvait lui faire ça à elle ? Il n'aurait pas pu la prévenir ? Bien sûr qu'il avait le droit d'aller où il voulait et pourquoi pas élever des poules sur Sandorte tant qu'on y était ! Mais il aurait tout de même pu lui en parler ! Et puis c'était quoi cette histoire d'Académie ? Il n'avait jamais montré un intérêt débordant pour la magie ! Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce soir ? Pourquoi d'une façon si abrupte, si dégueulasse ? Il le savait pourtant non, qu'il la blessait en cet instant. Il savait qu'elle se serait attendu à ce qu'il lui en parle. Mais Oz ne lui parlait plus... Cela faisait deux ans qu'il ne lui adressait que quelques mots sans importance et vide de sens au détours d'une rencontre fortuite. Pourquoi ? Qu'avait-elle fait ? C'est vrai. Elle était aussi responsable que lui. Elle n'avait jamais cherché à inverser la vapeur. Mais ici, maintenant et avec les personnes dont tout deux n'avaient que faire, avec l'impossibilité d'exploser et de lui en vouloir, avec la nécessité de le féliciter à son tour puisque visiblement c'était pour ça qu'il faisait tant d'efforts. C'était injuste...
**C'est un coup bas Oz, tu n'as pas le droit de faire ça... Tu n'as pas le droit...**
Il rabaissa son verre sans l'avoir lâché du regard cependant, laissant son père s'occuper des mondanités l'espace d'un instant. Sila le regardait, interdite, interloquée, blessée... Ses lèvres entrouvertes témoignaient de sa surprise, de son indignation, de sa volonté de cracher les mots qu'elle taisait au plus profond d'elle-même. Ses yeux hurlaient la question lancinante à laquelle elle n'était pas sûr de donner du sens : pourquoi ? Il profita du prétexte de reposer son verre sur la table pour la fuir. C'était minable Oz... Toute cette mascarade et maintenant la lâcheté qui suintait de tous les ports de sa peau. Sila ne comptait pas faire preuve de gentillesse, de bonne volonté et d'altruisme ce soir. Au diable les convenances ! Elle ne pouvait pas accepter qu'il la traite ainsi... pas elle.
-Je peux savoir d'où te vient cette lubie mon cher Oswald ?
Il tressaillit imperceptiblement. Pour un peu, il n'aurait pas été capable de tenir son rôle de petit gentleman hypocrite. Oui, elle n'avait que faire de le pousser à bout ce soir. Elle s'était trop préoccupée de ce détail durant ces six dernières années pour s'en priver maintenant qu'il se comportait de la sorte. Les adultes présents lui lancèrent un regard surpris dont Sila n'avait cure mais Oz semblait vouloir éviter un scandale pour une raison obscure.
-Monsieur Jones, je m'excuse mais pourrais-je vous emprunter votre fille ? J'aimerais lui parler en privée.
-Mais bien sûr, je comprends que la nouvelle l'affecte.
-Je n'en ai rien à faire qu'il se casse à l'autre bout du monde si tu veux savoir. Je lui suis promise, pas dévouée et jusqu'à présent je n'ai jamais laissé entendre que son sort pouvait m'intéresser en quelque manière que ce soit.
-Sila ! ! !
Sa mère indignée de son comportement la fusilla du regard mais la jeune fille n'avait pas fini sur sa lancée et tant pis si ça déplaisait, ce serait même parfais si ça déplaisait au petit Roland.
-Je sais que vous avez du mal à concevoir que je sois capable de penser et d'agir par moi même ma mère mais il vous faudrait ouvrir rapidement les yeux sur la question. Etes-vous dupe au point de ne pas vous rendre compte des délicates et hypocrites attentions qu'il déploit en ce moment sur ordre de son père certainement ?
-Sila, ça suffit maintenant. Richard, je m'excuse. Vous êtes surement au courant de ce qui s'est passé hier, elle a été assez choquée et...
-Tient très bonne idée papa ! Parlons-en de ce qui s'est passé hier comme ça Oswald pourra vous raconter dans le détail le rôle qu'il y a jouer et vous oublierez bien vite ses défauts devant la courageuse action dont il a fait preuve. Parfois je me demande si vous n'avez aucun remord ou alors aucun intérêt pour votre fille que vous fiancée au premier délinquant venu.
-Ca suffit à présent ! Je...
-Sila, viens avec moi.
Oz lui prit le bras et s'apprêta à l'entrainer à l'extérieure mais elle ne se laissa pas faire.
-Je ne suis pas le jouet que tu balades à ta guise Roland.
Il lui fit face et Sila se tue en regrettant aussitôt de s'être emportée. Pourquoi devait-il la regarder avec ce sérieux teinté d'une arrogance blasée qu'elle savait feinte ? Pourquoi lui parlait-il avec ce clame et cette douceur alors même qu'il l'aurait envoyé promené en tant normal ? Pourquoi ne se comportait-il pas comme d'habitude ? Ça aurait été tellement plus facile s'il était parti en la détestant. Elle n'aurait pas eu à se reprocher de l'avoir fait souffrir. Une réflexion miroir dont elle ignorait tout... pour laquelle elle était encore trop immature pour comprendre...
-Viens.
Elle sentit sa résolution flanchée. Pas avec cette voix là... Pas avec ces yeux là... Pas ici, pas maintenant, pas ce soir... Ses yeux devinrent brillants mais elle fit un grand effort sur elle-même pour maintenir sa fierté. Comme si elle allait pleurer pour ce minable ! Minable... Lequel des deux était le plus minable actuellement... ? Il lui reprit le bras et l'obligea à le suivre dans le jardin sans qu'elle ne se débatte cette fois, laissant les adultes commenter la scène et faire valoir leurs réelles inquiétudes. Oz hériterait de la fortune et de l'entreprise de son père, il était impératif que Sila devienne sa femme pour lui assurer une prospérité sans pareille et sans égale alors que du côté Jones, il était impératif que Sila se révèle utile en leur fidélisant définitivement un allié de poids dans le monde économique. Des enjeux qui les dépassaient tous les deux... Dont ils n'avaient que faire...
-Lâche-moi.
Il l'attira encore un peu plus loin pour être sûr de ne pas être entendu.
-Lâche moi je te dis ! Tu me fais mal !
Elle se dégagea et serra son poignet où était apparu un effrayant hématome par la faute de la poigne de Danny. Il l'observa sans rien dire avant de pousser un soupir consterné.
-Tu me fais quoi là ?
-Pardon ???
-Cette petite scène qui a failli ruiner tous mes efforts, tu as une explication ou tu t'es juste dit que tu allais me pourrir l'existence ?
-Excuse moi d'avoir été un peu surprise par la nouvelle, c'est vrai que je ne suis qu'une quantité négligeable qui sert simplement à faire grimper ta côte de popularité quand tu en as besoin... Tu veux qu'on aille en ville ce soir ? Avec un peu de chance j'aguicherai un autre de tes sympathiques camarades et tu pourras de nouveau passé pour un ange en me sauvant de ses griffes.
Ironie, invective, rancœur... Mais aussi le regret de sa mauvaise foi, cette reconnaissance qu'elle lui témoignait mais qu'elle ne pouvait lui exprimer, pas après ça...
-Désolé, j'ai un emploi du temps plutôt chargé.
-Enfoiré.
-C'est ça.
Ils restèrent silencieux à se faire face. Il n'y avait plus rien à dire pourtant ni l'un ni l'autre n'esquissait le moindre pas, comme si maintenir cet échange était la dernière chose de leur passé commun à laquelle ils pourraient se raccrocher. Et cette distance encore... ces horribles non-dits qui les meurtrissaient de l'intérieur...
-Pourquoi cette mise en scène ?
-C'est un accord avec mon paternel. Il y a une semaine juste après son anniversaire dont tu as certainement eu des échos...
Effectivement, la fameuse soirée avait défrayé la chronique vu la conduite que ce magnifique petit salopard y avait tenu.
-...nous avons eu une « discussion » très intéressante. En gros il cherche à se débarrasser de moi et je n'attendais que d'être débarrassé de lui. La seule chose qu'il a exigé fut que je me comporte bien avec toi et ta famille quand on viendrait vous l'annoncez. C'était juste histoire de quitter cette foutue vie bien rangée pour de bon avant la liberté si tu vois ce que je veux dire.
-Ravie d'apprendre que tu as accepté cette délicate attention. Et il ne t'a pas effleurer que j'aurais aimé être au courant durant cette fameuse semaine ?
-Parce que ça aurait servi à quelque chose que tu le sois ? Écoute, que je sois très clair : je n'en ai plus rien à foutre maintenant de ces histoires. Tout ce que je veux c'est aller à Sannom et vivre aussi loin que possible de tout ceux qui se trouvent ici.
Encore un coup au cœur... Encore une déchirure... et la certitude du mensonge qui transparaissait de ses paroles. Pourquoi lui infliger ça ? Pourquoi vouloir qu'elle le déteste ? Pourquoi attendre que... La vérité s'imposa à elle brutalement : il voulait rompre tout contact avec son passé, disparaître sans laissé la trace de regret dans le cœur de quiconque, partir aussi libre et sans attache que cela était possible.
-Je ne te reverrais plus donc.
-En effet.
**Pardonne moi de dire ça... Mais j'ai compris ce que tu attendais de moi...**
-C'est parfait dans ce cas. En fait, je suis même soulagée, je pourrais enfin exister sans qu'on me rattache immédiatement à ton nom. Quand tu seras enfin partie, je serais certainement beaucoup plus heureuse.
-Je le pense aussi.
Savait-il qu'elle mentait pour lui faciliter la tache ? Savait-il la difficulté qu'elle avait à retenir ses larmes de rage, d'impuissance et de tristesse ? Savait-il ce qu'elle sacrifiait pour lui permettre de s'enfuir de cette ville ? Avait-elle elle-même seulement conscience de tout ceci ? Non. Elle savait juste que leurs chemins se séparaient là, que tout était fini avant d'avoir commencé, qu'elle ne le verrait sans doute plus jamais. Elle resta debout, laissant le vent nocturne sécher les larmes qu'elle avait autorisé à couler maintenant qu'il lui avait tourné le dos, qu'il l'avait abandonné... »
Soudain, Sila se leva et releva la tête. Doucement, d'une démarche assurée et gracieuse, un sourire joyeux et confiant au lèvres, des yeux pétillants et malicieux, elle traversa la rue. Elle fit le dernier pas pour combler la distance...
Clip du générique de fin.