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    Premiers pas. [PV : Lo & Liv]

    Isuzu Kamageta
    Isuzu Kamageta
    Chef des Chasseurs de Primes

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    Message  Isuzu Kamageta Sam 4 Juin 2011 - 16:39

      Ca n’aurait pas dû se passer comme ça. Elle avait rêvé mille fois ce moment, n’osant jamais croire qu’il deviendrait réalité. Mais la réalité était mille fois plus dure que le rêve. La réalité était impitoyable, la réalité n’était que souffrance. La réalité allait finir par la tuer, trop désespérée qu’elle était pour se plonger de nouveau dans des chimères qui n’arriveraient de toute façon jamais. Ou qui ne seraient jamais suffisamment idyllique pour se montrer à la hauteur des songes. Maintenant, c’était fini. Et il ne lui restait plus qu’à mourir.

      Trois jours. Cela faisait déjà trois jours qu’Isuzu Kamageta avait posé congé, brusquement et pour la première fois de sa carrière. Sans raison médicale, s’entend, car il lui était déjà arrivée d’être trop blessée pour continuer à assumer ses missions. Cela dit, même dans ces cas, elle parvenait tout de même à assumer un minimum son rôle de chef. Mais là, rien. Elle n’avait prévenu personne d’un désir de vacances ou autres, et rien n’aurait pu laisser penser qu’elle prendrait des congés aussi inopinés. Elle n’avait livré aucune explication. Elle s’était contentée de s’entretenir avec son bras droit pour lui expliquer, brièvement et plus agitée que d’ordinaire, qu’elle ne pouvait plus assumer sa tâche pour l’instant, qu’il lui fallait du repos pour une raison personnelle. Qu’elle tenait à prendre quelques vacances, sans savoir quand exactement elle reprendrait le travail. Qu’elle reviendrait au plus vite, cependant. Et puis elle était partie. Ce départ avait bien entendu surpris, mais elle avait donné les instructions nécessaires pour qu’on ne la pense pas devenue complètement folle et qu'on ne la démette de ses fonctions. Elle était ensuite rentrée chez elle. Elle avait fermé ses volets, calmement. Verrouillé sa porte, tout aussi calmement. Eteint toutes les lumières, toujours avec cet excès de calme. Tout portait à croire qu’elle était partie, que son appartement était alors vide. Elle ne le quitta pas un seul instant. Elle s’était ensuite glissée dans son lit, comme si le fait de l’avoir rejoint lui permettait de toucher un autre monde, de s’échapper, de s’envoler. Peut-être croyait-elle que la réalité allait s’effacer dans l’antre des rêves. Peut-être se sentait-elle en sécurité au milieu de ce lit trop grand pour elle seule. Peut-être qu’elle refusait d’ouvrir complètement les yeux. Mais ses vœux étaient vains : la réalité était bien présente, même ici. Surtout ici, dans sa chambre remplie de noir et de silence. Il n’y avait pas pire que la réalité qui s’imposait, faisant monter des larmes aux yeux de cette femme qui s’était promis de ne plus jamais pleurer. Ca ne pouvait être vrai, ça n’aurait jamais dû se passer, pas comme ça, elle n’aurait pas dû voir ça, faire ça, vivre ça. Et pourtant elle avait subi. Encore. Comme toujours. Elle n’arrivait pas à fermer les yeux. Elle n’arriva plus à retenir les larmes, qui s’écrasèrent en cascades sur ses genoux et ses draps, roulant sur ses joues pâles, épousant la forme de son menton. L’enfer venait juste de commencer.

      Qu’avait cette fille qu’Isuzu n’avait pas ? La femme aux cheveux noirs ne connaissait même pas son nom. A vrai dire, quel que soit son nom, elle s’en moquait. C’était juste la femme qui brisait sa vie, ses derniers espoirs, ses projets, tout. Et elle ne parvenait même pas à la haïr, consciente du fait qu’elle n’y était absolument pour rien. Isuzu était assurément belle : une beauté glaciale, spéciale, fatale. Qui pouvait faire froid dans le dos, qui dérangeait parfois. On ne pouvait pas en dire autant de l’autre jeune femme : oh, ce n’était pas qu’elle était laide. Loin de là. Mais on ne pouvait pas vraiment la qualifier de femme fatale. Elle était plutôt… Mignonne. Très jolie. Physiquement, à vrai dire, elle était à des lieues d’Isuzu. Plus petite qu’elle sans être non plus minuscule, elle était également nettement plus ronde, sans pour autant que ce soit disgracieux. Ses cheveux avaient la couleur du soleil là où ceux d’Isuzu étaient plus sombres que la nuit. Ses yeux verts étaient si clairs par rapport aux sombres prunelles de la chef des chasseurs de prime. Isuzu était fatale. La blondinette était adorable. Etait-ce le physique qui faisait toute la différence ? Sûrement pas. Ca ne pouvait pas tenir à si peu, pas pour ça. Il y avait cette joie de vivre qui l’animait, cette chaleur qu’Isuzu avait ressentie rien qu’en se tenant un instant à côté d’elle : elle n’avait pas fait beaucoup attention à elle, n’ayant d’yeux que pour la personne qui l’accompagnait, mais les vagues coups d’œil qu’elle lui avait jeté lui avait permis de comprendre quel genre de personne elle était. Elle était simple. Elle était gentille. C’était ce genre de filles qui semblaient ne jamais être abattues par quoi que ce soit : et même quand elles étaient tristes, elles avaient toujours le même éclat. C’était des petits soleils vivants qui illuminaient les cœurs d’un sourire et plaisait assurément, quand bien même elles n’étaient pas forcément des gravures de mode. Isuzu était au contraire l’obscurité la plus totale, la complication qui s’entêtait à tout compliquer encore. Elle était la nuit, éclipsée par ce genre de fille bien qu’elle reste inoubliable. Elle était de ces filles qui fascinaient mais qui restaient inaccessibles. Contrairement à cette autre fille, qui n’était pas aussi particulière mais avec qui on pouvait nettement plus facilement envisager de construire quelque chose.

      Pourquoi, comment vivrait-elle après que le rêve improbable ait tourné en cauchemar réel ? A vrai dire elle vivait depuis quelques temps déjà dans un seul but : rejoindre l’être aimé dans la mort. Elle avait tout fait pour que, le jour où elle parviendrait à atteindre son but, n’envisageant plus le suicide de crainte qu’on la sauve une fois encore, elle n’ait rien à laisser derrière elle, rien à regretter. Mais là, même sa raison de vivre, de mourir, s’était envolée : elle n’avait plus rien à faire de sa vie. Parce qu’elle s’était entêtée à rechercher son passé, elle avait détruit toutes ses perspectives d’avenir. Et elle n’arrêtait pas de pleurer, faisant le deuil de sa propre vie. Elle n’avait même pas conscience du temps qui passait. Parfois, quand les sanglots ne la terrassaient plus, elle réussissait à se déplacer pour se réhydrater. Rien de plus. Elle ne mangeait rien, ne prenait pas de douche. Se contentait de boire pour ensuite s’effondrer de nouveau, les larmes noyant son oreiller et ses draps. Parfois, sans s’en rendre vraiment compte, elle s’endormait : son sommeil ne durait pas, mais au moins ne rêvait-elle pas, ne pensait-elle pas, ne se torturait-elle pas en repensant à cet après-midi ensoleillé qui aurait dû être l’un des plus beaux de sa vie. Si l’on frappait à sa porte, si l’on essayait de vérifier si elle était là, elle n’y faisait pas attention. Elle restait dans son monde, retirée dans une bulle malsaine de constats destructeurs. Elle songea à une nouvelle tentative de suicide : après tout, qui pourrait la trouver là ? Et qu’est ce qui la retenait encore ici ? Et pourtant, elle renonça vite à cette idée : d’abord parce qu’elle sentait bien à quel point ce serait inutile. Rien ne changerait si elle se tuait. Ensuite parce qu’elle réussit à se souvenir. Malgré tout ses efforts, elle avait échouée : elle n’était pas détachée de tout. Elle avait un travail qu’elle aimait malgré tout ce qu’on pouvait en dire. Et puis il y avait quand même des gens qui comptaient, même si elle refusait de le leur dire et presque même de se l’avouer. A l’aube du troisième jour, cette pensée la frappa : la combativité et la fierté la regagna peu à peu de ce fait. Il y avait une autre raison pour laquelle elle ne pouvait se donner la mort : son orgueil, qu’elle avait négligé jusqu’alors, refusait qu’elle meure pour ça.

      Elle devait donc continuer à vivre. Combattre encore les difficultés. Se remettre, doucement, de cette insupportable rencontre. Cette pensée eut du mal à faire son chemin et à se faire acte : Isuzu finit pourtant par se lever, doucement, du lit qu’elle occupait depuis déjà trois jours. Les yeux enfin secs, elle prit une douche, se débarrassant du même coup des traces que son maquillage avait laissé autour de ses yeux et sur ses joues. Elle enfila une robe noire à col bateau, des collants de la même couleur. Elle rouvrit ses volets. Doucement, elle reprenait vie. Elle chercha à regagner son masque glacial, n’en produit qu’un simulacre fendu par la peine. Elle se nourrit de nouveau, d’une malheureuse soupe, mais au moins s’alimentait-elle. Elle se rendit même compte qu’elle avait faim. Et si elle était triste à en mourir, elle était, quelque part au fond d’elle, étrangement apaisée. Après avoir abandonné son bol dans l’évier, Isuzu ressentit le besoin pressant de sortir : elle se sentait étouffer dans cet appartement qu’elle n’avait pas quitté depuis trop longtemps. Elle, fervente adoratrice de la liberté et de l’air frais, s’était mise aux fers toute seule. Ainsi, veste noire sur le dos, bottes qui la faisait paraître plus grande encore aux pieds, elle ferma sa porte à clé, de l’autre côté cette fois. Elle ne se soucia pas des gens autour d’elle : seul un homme aurait pu attirer son attention, sans même qu’elle le désire. Elle marchait sans but et, après un long moment passé au port, l’odeur de l’iode s’emparant de ses cheveux en même temps que le vent, la nuit se glissant peu à peu autour d’elle, elle finit par se décider et sa marche solitaire eut soudain un but.

      Il y avait tant de monde à l’auberge de Sannom qu’Isuzu parvint à ne pas se faire remarquer. Oh, si certaines personnes posaient les yeux sur elle, ils pouvaient vite être frappés par sa beauté et par la tristesse qu’elle ne parvenait pas à dissimuler. Mais à peine avaient-ils le temps de ce dire que ce visage leur était familier qu’elle s’était déjà envolée, n’atterrissant qu’une fois au bar, assurée d’être cachée des regards par un groupe d’hommes relativement bruyants sans non plus se réfugier dans un coin sombre. Elle commanda. De l’alcool. Fort. Elle ne le tenait pas trop mal, d’ordinaire : mais là, emportée dans ses tourments, elle ne voyait vraiment pas d’autre solution pour s’éclipser, ne serait-ce qu’un instant, de la réalité. Sa tête finit par lui tourner un peu, elle sentit son esprit qui divaguait. Elle finit son verre, le posa, n’en demanda pas d’autre : elle n’avait plus trop conscience de ce qu’elle faisait mais restait juste suffisamment lucide pour comprendre qu’il ne servait à rien de boire à en vomir. Elle se leva, esquissa un léger sourire triste en constatant que, si la salle avait commencé par tanguer légèrement, elle restait en possession de ses moyens. Elle n’arrivait pas à savoir si ça la réjouissait ou si, au contraire, elle en était déçue. Se sentant incroyablement légère, elle se plut à fendre la foule, esquivant les contacts avec une étrange habileté malgré l’alcool qui courrait dans ses veines et qui battait dans ses tempes, effleurant parfois des gens mais ne s’en offusquant même pas. L’étrange sérénité qu’elle avait ressentie tapie au fond d’elle valsait avec la peine : au final, elle était incapable de dire comment elle se sentait. Elle se planta au beau milieu de la foule, fermant les yeux et laissant les gens passer à côté d’elle, se délectant de la sensation d’être entourée. Violemment, à cette pensée, elle fronça les sourcils : foutaise. Les gens avaient beau partager la même terre qu’elle, graviter autour d’elle dans cette auberge, elle n’en était pas moins seule. Seule et malheureuse.

      Rouvrant les yeux, la peine ayant reprit ses droits, elle aperçut un visage connu. Un étrange sourire triste étira alors ses lèvres. Il n’y avait pas qu’un visage connu, il y en avait deux. Deux personnes qui comptaient bien plus qu’elle osait se l’avouer en temps normal, sentiments avec lesquels elle n’avait aucun problème maintenant que l’alcool lui avait permit de se détacher de la réalité. Vaguement, elle se demanda s’ils avaient remarqué son absence : et, si oui, s’ils en avaient été inquiets. Elle espéra tout d’abord que non, parce qu’elle n’avait pas disparu pour les inquiéter, qu’elle ne voulait pas leur causer du souci. Mais cette idée la rendit aussi triste : si jamais ils ne s’étaient pas inquiétés, pas du tout, cela voudrait dire qu’elle ne comptait pas pour eux. Follement paniquée à l’idée qu’eux aussi la laisse tomber, qu’ils ne l’aiment pas, alors qu’elle avait toujours tout fait pour que personne n’éprouve d’affection pour elle, elle se remit à marcher. Vers eux, qui ne devaient pas l’avoir remarquée pour le moment. Si elle ne titubait pas, sa démarche était nettement moins assurée que d’ordinaire. Elle les observa alors qu’elle avançait, fendant la foule sans plus apprécier la présence d’autres gens : au contraire, elle aurait voulu qu’il n’y ait plus qu’eux trois dans toute l’auberge. Finalement, elle arriva à leur niveau : sans prêter attention à leurs réactions, elle attrapa le col du blond, avec une telle fermeté qu’on pouvait presque s’attendre à ce qu’elle lui envoie son poing dans la figure. Ce ne fut pourtant pas le cas puisqu’elle prononça son prénom d’une voix basse et enrouée, à la fois de ne plus avoir parlé depuis trop longtemps mais aussi par l’émotion, les yeux embués de larmes.

      « Liven… »

      Plus surprenant encore que de voir cette jeune femme qui n’était pas apparue depuis trois jours, plus étonnant encore que de la voir sans son masque de glace, juste avec une émotion qui débordait, qu’elle ne maitrisait absolument pas, fut ce qu’elle fit après. Doucement, elle glissa son bras sur l’épaule, derrière la nuque de Liven. Se pressant contre lui, elle posa son front contre l’épaule de Liven, souhaitant dérober son visage à sa vue et à celui de Loghan, de crainte de se mettre à pleurer si elle plongeait dans le regard bleu électrique de l’un ou dans celui, gris, de l’autre. Celle-là même qui rejetait tout contact venait d’en créer un. La femme qui semblait allergique à l’amour venait de manifester une affection évidente . Pour la première fois depuis longtemps, elle se sentit bien, avec ces deux hommes auprès d’elle. Protégée. Apaisée. Et ce même si la tristesse ne la quittait pas.

      Le médaillon qu’elle portait d’ordinaire toujours autour de son cou blanc, contenant la photo de l’être aimé, se recouvrait peu à peu de sable. Noyé.
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    Message  Liven Reaves Sam 4 Juin 2011 - 22:59

      Absence. Non celle des moments de perditions quand le regard s'attarde indifféremment sur les choses, détaillant sans le savoir leur insignifiance et les oubliant aussitôt. Non celle des habitudes insatisfaites qui irritent la conscience et réveillent l'envie, comme une pique passagère à la quiétude sereine des caprices comblés. Ne trouvant rien qui puisse le distraire mais tout qui puisse le conforter dans un agacement en demi-teinte, un regard préoccupé glissa avec lassitude sur la salle de l'auberge. Comme une injure vague qu'inspire la colère plus que le mépris. A ces ombres s'agitant vainement autour de lui. Aux odeurs partagées entre les fragrances subtiles des parfums ou de la nourriture, et les effluves rances de la bière et de la sueur. Aux bruits indistincts de couverts qui se perdaient dans le vrombissement incessant des conversations. A toutes ces futilités auxquelles il n'accordait aucune importance et qui malgré tout emplissaient les lieux jusqu'à le rendre exigu, jusqu'à faire ressortir l'inexcusable. L'absence. Comme une angoisse pesante qui trouble les cœurs paisibles. Comme une peine sourde appesantie de silence qui évoque à regret la tiédeur troublée du réconfort d'une amitié pourtant glaciale. Et une seule question : où ? Disparaître n'était qu'une formalité pour ceux qui apprenaient au plus vite à dépister et à traquer ceux qui ne s'y risquaient que par la nécessité lâche de la fuite. Cependant, rien ne l'avait annoncé. Chez elle, il avait trouvé porte close et s'était refusé à la forcer pour rassurer l'égoïste soupçon qu'il avait laissé naître. Soupçon qui n'avait cessé de grandir malgré ses racines fragiles et qui se tordait d'angoisse malgré ses soins appliqués à l'ignorer. Une sèche indignation mêlée d'un triste abattement s'était emparé de lui. Elle ne s'éloignait pas. Elle ne le mettait plus à l'écart. Elle partait. Sans un mot. Sans une explication. Lui en devait-elle ? Au final, il savait qu'il ne la trouverait que si elle le désirait. Une résolution défaitiste qui attisait ses craintes et une peine qu'il refusait tout à fait d'admettre. L'absence, nue et froide, qui transcende la rancœur pour toucher directement à l'inquiétude. Celle qui laisse tremblant d'incertitudes, celle qui emprisonne dans l'attente, celle qui condamne à l'impuissance. Et une autre question : pourquoi ? Comprendre pour avoir moins peur, pour savoir qu'elle allait bien. Que tout allait bien. Les réponses demeuraient obscures, insondables, insaisissables... comme elle l'était.


      Un visage. Soucieux. Scrutant ses traits. Le punk qui lui faisait face venait-il de lui parler ? Liven n'avait pas entendu sa voix. En fait, cela faisait un moment qu'il ne l'écoutait plus. Peu importait. L'absente importait. Elle le rendait malade. Devant le regard qui se faisait accusateur, il se contenta de froisser les plis de son blouson en haussant les épaules. Un geste qui, s'il était désabusé, était surtout d'une indifférence insolente qui ne lui correspondait pas. Où ? Pourquoi ? Ces questions tournaient inlassablement dans un esprit encombré par trop de bruits et d'images abstraites. Ses yeux errèrent sans but, voyageant de visages en visages, faisant escale sur les nervures du bois sombre qui composait leur table, allant jusqu'à explorer pensivement le carrelage blanc qui se troublait pourtant continuellement d'allées et venues. Avec un soupir, Liven choisit de se redresser sur son siège et d'interroger le plafond en suivant scrupuleusement la même méthode, ignorant encore la présence de Loghan comme si elle l'indifférait alors qu'elle lui était indispensable. Elle l'empêchait de retourner à l'appartement pour violer impunément l'intimité de la jeune femme, pour trouver le moindre indice qui aurait pu les mettre sur une piste, expliquer sa disparition. Disparition. Ce mot était pire que l'absence. Il faisait encore plus mal. Il le pointait du doigt pour ne pas l'avoir retrouvée. Sans y croire, il s'accusa de paranoïa. Il était plus commode de la croire parfaitement maitresse de la situation, prête à rire effrontément et complaisamment de ses pensées ridicules. Qui était-il par ailleurs pour se permettre d'entraver sa liberté sans attache d'un pareil soucis de sa personne et de son bien être ? Lui en laisserait-elle seulement le droit ou bien mépriserait-elle à nouveau une amitié qu'elle ignorait sans doute si sincère et fidèle ? Le visage du jeune homme s'assombrit encore davantage. Imitant l'anorexique qui lui montrait l'exemple, il refusa de toucher à son assiette, l'estomac noué. Perdu dans ses réflexions houleuses, Liven aurait pu se torturer encore longtemps sur la réciprocité encore aujourd'hui uniquement supposée de son amitié avec la jeune femme, le mystère qui l'entourait, son absence insupportable... pour celui qui se targuait d'aimer la solitude. Il aurait pu continuer de la maudire tout en espérant qu'il ne lui était rien arriver. Il aurait pu continuer à exercer sa mauvaise humeur sur tout ce qui croisait son regard, Loghan le premier. Elle ne lui en laissa pas le temps.


      Sa poigne ferme et violente l'obligea malgré lui à se lever de son siège, la réflexion l'abandonna pour ne plus laisser libre cours qu'à ses réflexes. Surpris mais irrité, il referma ses propres doigts autour du poignet fin, presque frêle, dans un geste plus défensif qu'agressif. Puis il croisa ses yeux, fugacement, d'un mouvement vif ou la colère céda devant l'incompréhension. Réduit au silence et à l'immobilité d'un seul regard, Liven la contempla dans l'expression figée d'une surprise muette, comme si l'incongruité de ce qu'il y voyait suffisait à anéantir tout ressentiment et toute parole. Mais ce fut sa voix qui le brisa. Une voix affaiblie par la tristesse et la douleur. Une voix qui le fit trembler et froncer les sourcils en une interrogation émue et presque pudique. Encore cette question : pourquoi ? Mais ce fut à la première, à ce « où » qui l'avait hanté, qu'elle apporta une réponse silencieuse, plus explicite et plus expressive que les mots. Doucement, comme pour l'assurer que rien de tout ceci n'était réel et encore moins normal, elle laissa son front reposer contre son corps, s'affaisser jusqu'à son épaule pour y trouver sécurité et réconfort. Où ? Là. Contre lui. Pourquoi ? Apeurée, brisée. Les questions s'évanouirent. Elles étaient devenues sans fondement. Seule la présence importait. Liven se redressa pour passer instantanément un bras doux, réconfortant et puissant sur ses épaules. Son autre main, large et douce, glissa sur les cheveux noir corbeau en appuyant délicatement son étreinte pour qu'elle dissimule son visage contre lui. Elle était grande, au point que la joue du jeune homme dût se caler sur sa pommette et sa tempe, abandonnant ses lèvres au dessus de son oreille. Cela faisait dix ans qu'il la connaissait et les seules fois où, par mégarde ou inconscience, il s'était rendu coupable du crime abominable que semblait représenter pour elle la création du moindre contact, elle lui avait fait payer chèrement. Cette fois-ci elle pourrait bien lui faire ce qu'elle voulait, il n'en avait strictement rien à faire. Son instinct protecteur face à quelqu'un auquel il tenait et qui l'appelait avec cette meurtrissure enfouie dans la voix, ne s'encombrait pas des conséquences. Il lui intimait juste de la rassurer. Sa propre voix s'éleva avec une douceur qu'on aurait peine à lui attribuer en temps normal, murmurant à son oreille les mots calmes et apaisants que les murmures assurés et sereins savent distiller puissamment aux âmes détruites :


      - ...chut... ça va aller... calme toi ma grande... chut... c'est bon Isu...


      Ses yeux se fermèrent même s'ils semblaient partagés sans la comprendre la peine de la jeune femme. Avec des gestes lents, l'enveloppant dans ses bras et dans sa voix, il lui caressa les cheveux tout en lui parlant, repositionnant quelque fois sa joue contre son visage pour la laisser à loisir se caler contre son épaule. Étrangement et malgré son attitude inquiétante et qui avait de quoi désarçonner, Liven était d'un calme si soucieux et concerné qu'il en oubliait de s'inquiéter des raisons qui la mettait dans un telle état. Sans doute aurait-il du être choqué, incrédule, ébahi devant la soudaine fragilité et la vulnérabilité à laquelle Isuzu s'abandonnait. Jamais encore il n'aurait pu ne serait-ce que songer que ce fut possible. Pourtant il accepta cette réalité sans plus tergiverser. Seul le soulagement de la voir en vie le dominait, seul le soucis de la serrer contre lui jusqu'à ce qu'elle oublie sa peur et les démons qu'elle fuyait peut être. Non. Sans doute. Liven rouvrit les yeux avec une nouvelle crainte dans le regard, cherchant celui de Loghan pour lui poser une question muette. Rassuré dans son sentiment par la réponse qu'il crut y lire, il se redressa un peu plus pour lever son visage au-dessus de celui de la jeune femme. Pleurait-elle ? Il n'entendait pas ses larmes mais sentait par moment les frissons qui la parcourait. Était-ce des sanglots ? Ou le dégoût de sentir les mains d'un homme posé sur son corps gracile ? Était-ce l'émotion incontrôlable qui semblait la dominer et qui brisait ses mots de protestation où de reconnaissance ? Avec cette même douceur qui contrastait si violemment avec la cruauté dont il pouvait faire preuve, il la mena à l'écart de la salle principale où les regards se faisaient impunément impudents, voyeurs, insultants. Il s'était senti comme personnellement blessé par ce sans gène curieux et malsain qui s'était emparé des témoins de la scène. Il savait à quel point il haïssait voir ses faiblesses révélées aux regards des autres. Il n'imaginait pas ce qu'avait du ressentir Isuzu pour que son orgueil s'efface et juge cela négligeable.


      Il laissa à son garde du corps le soin de refermer la porte derrière eux, celle du salon privé dans lequel il venait de la conduire. L'odeur d'alcool se mêlé subtilement à son parfum, le rendant plus saisissant, plus violent, plus douloureux à inspirer. Il laissa couler sa main jusqu'à sa nuque qu'il massa du même mouvement lent. Jusqu'à ce qu'il surprenne le regard hypnotisé de douleur que Loghan posait sur elle, jusqu'à ce qu'elle se calme. Présence. Non celle qui insupporte et conduit à rechercher la solitude. Non l'oppression opaque d'une altérité sans délicatesse et justesse de jugement. La présence nécessaire et rassurante, qui apaise et contre l'épaule de laquelle on peut pleurer sans honte, devant le regard de laquelle on peut se montrer vulnérable sans crainte.


      - ...on est là.
    Loghan Rasal
    Loghan Rasal
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    Message  Loghan Rasal Dim 5 Juin 2011 - 18:21

      - Eh, tu m'écoutes ?

      Non, bien sûr que non que Liven ne l'écoutait pas. Il le voyait parfaitement. Il comprenait parfaitement. Ce qui n'empêcha pas les yeux gris cerclés de noir de rester fixés sur ce visage sombre et silencieux, comme si le scruter avec insistance sans même ciller allait lui apporter la réponse qu'il attendait et qu'il connaissait de toute façon déjà. Non, il ne l'écoutait pas. Et il ne l'écouterait pas, il n'écouterait personne, tant qu'elle ne serait pas revenue.

      Loghan étouffa un soupir. Il se renversa avec lenteur en arrière pour se caler contre le dossier de sa chaise, ses maigres épaules un peu voûtées et sa tête inclinée du côté comme si elle allait tomber. Il releva une jambe en faisant attention à ne pas taper dans la table pour poser nonchalamment sa cheville, qui disparaissait dans l'habituelle botte noire cloutée et bien trop grosse qu'il portait toujours, sur son genoux opposé. Il posa un coude anguleux sur l'accoudoir de sa chaise, calant son poing contre sa joue, l'index tendu et tapotant machinalement sa tempe. Puis ses yeux scrutateurs quittèrent le visage de Liven pour dévier, plus pensivement, sur la pièce de monnaie qu'il tenait entre son pouce et son index et qu'il tapotait depuis tout à l'heure contre la surface de la table, s'arrêtant parfois pour la suspendre quelques secondes en l'air avant de recommencer, comme si ce tintement monotone lui permettait de rester concentré et de ne pas dériver dans les pensées rongées par la brume de la drogue dans lesquelles il se perdait tout le temps. Il la fit tourner entre ses doigts encombrés de bagues de toutes les tailles, la fixant sans même la voir. Puis il releva les yeux pour les fixer à nouveau sur Liven, qui lui faisait face et qui ne paraissait toujours pas décidé à parler ou même à l'écouter. Lorsqu'il eut un haussement d'épaules désabusé avant de regarder ailleurs, Loghan ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel. Puis il releva un peu la tête et se remit à fixer sa pièce de monnaie, continuant de la tapoter doucement contre la table. Il n'avait pas touché à l'assiette qui se trouvait devant lui mais dans son cas, c'était normal. Ou tout du moins habituel, disons plutôt. Que Liven l'imite, par contre, ça ne l'était pas autant.

      Cela faisait trois jours qu'Isuzu Kamageta s'était absentée. Trois jours qu'elle avait stupéfié bon nombre de personnes en s'accordant des congés qu'elle ne prenait d'ordinaire jamais. Trois jours qu'elle avait disparu sans dire à qui que ce soit où elle allait. Trois jours sans nouvelles, sans apparitions, sans signes de vie. Loghan voyait. Il voyait qu'il y avait un problème. Il voyait parfaitement qu'il y avait quelque chose de grave qui s'était passé, sans savoir quoi. Il voyait que ce n'était pas normal. Et il voyait que Liven souffrait de cette absence. Il voyait que celui qui se targuait d'aimer la solitude souffrait d'une absence. Il voyait cela comme si c'était inscrit clairement sur le front du blond qui lui faisait face et qui regardait encore ailleurs, probablement plongé dans ses pensées. Il voyait tout, il voyait toujours. Ou presque. Pas tout à fait. Ce qu'il ne voyait pas, c'était la raison de cette absence qui paraissait bien trop incongrue pour être vraiment réelle. Ce qu'il ne voyait pas, c'était combien de temps cette absence durerait. Ce qu'il ne voyait pas, c'était s'il leur serait permis de revoir Isuzu un jour ou pas. Ce qu'il ne voyait pas, c'était si elle allait revenir. Mais elle reviendrait. C'était obligé. Non ? Si. Elle reviendrait, parce que le contraire n'était tout simplement pas envisageable par l'esprit. Cette perspective ne voulait tout simplement pas se poser dans la tête du dégingandé aux cheveux bleus affalé sur une chaise en compagnie de Liven Reaves, qui ne pouvait pas se targuer de connaître Isuzu Kamageta mais qui pouvait néanmoins affirmer s'y être attaché. Sans savoir comment ni pourquoi. Mais qui pouvait tout de même.

      Quelque part, on lui donna raison. La pièce de monnaie se suspendit à quelques millimètres de la table, la main de l'anorexique figée en plein mouvement. Et Loghan fixa sans bouger ni parler la jeune femme aux cheveux noirs qui venait d'apparaître subitement à la manière des anges débarqués sur terre. Jeune femme qui attrapa le blond d'une poigne de fer qui pourrait en étonner plus d'un en vue de sa constitution gracile. Que pouvait-il y avoir de plus choquant qu'une Isuzu créant volontairement un contact physique avec quelqu'un ? Probablement rien. Même un Liven donnant un bonbon à un gosse de trois ans avec un grand sourire serait plus probable. Loghan avait bien vu que quelque chose n'était pas normal. Maintenant qu'Isuzu collait son visage contre l'épaule de Liven, cela lui parut plus clair encore. Limpide. Et tandis que le blond aux yeux si bleus refermait ses bras autour d'Isuzu pour lui prodiguer un réconfort, une assurance dont elle avait visiblement besoin, l'anorexique se sentit comme un intrus. Mais pire que lui, il y avait tous ces gens qui ne se gênaient pas pour porter des regards curieux et interrogatifs dans leur direction, dérangeant cette bulle d'intimité qui aurait pourtant du leur être accordée. Puis Liven prit l'initiative d'entraîner Isuzu à l'écart. En grande partie par pure habitude de toujours suivre le blond comme son ombre, Loghan déplia ses longues jambes pour se lever à son tour, abandonnant sans même la regarder la pièce de monnaie sur la table. Il se glissa à leur suite avec la souplesse et la discrétion des gens invisibles mais présents, se chargea de refermer la porte du salon privé derrière eux puis pivota lentement sur ses talons pour poser à nouveau les yeux sur Isuzu. La voir dans cet état avait quelque chose de foncièrement blasphématoire. Comme si la détresse de la jeune femme ne devrait jamais être vue par quelqu'un d'autre qu'elle-même, jamais. Mais les choses étaient ce qu'elles étaient, et au-delà du blasphème, il y avait la douleur. Parce qu'indubitablement, ça faisait mal de la voir comme ça.

      Mais oui, ils étaient là.

      Et parce qu'il n'y avait pour le moment rien à ajouter, parce que Liven avait tout dit, parce qu'ils avaient remarqué tous deux cette odeur d'alcool, parce qu'ils respectaient tous deux la détresse d'Isuzu, parce qu'ils attendaient tous deux qu'elle se calme, Loghan n'ajouta rien et se contenta de porter sur elle un regard profond. Attendant.
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    Message  Isuzu Kamageta Dim 5 Juin 2011 - 19:50

      Chut. Ne rien dire. Garde le silence, lovée contre lui. Il n’avait pas besoin d’explication. Ou, s’il en avant besoin, il ne lui en réclamait aucune. Elle ne comptait pas en donner. Elle avait juste besoin de lui, d’eux. Et elle savait désormais qu’ils étaient là, en sentant ces bras glissés autour de son corps, ces bras qu’elle aurait en temps normal repoussés violemment, en sentant le regard inquiet de l’anorexique posé sur elle. Elle n’était pas seule. Pas quand elle avait besoin d’être entourée. Ca va aller. Rien n’allait bien, en fait. Elle se sentait toujours aussi mal, même avec ces deux personnes qu’elle aimait tant. Malgré le temps passé à s’enfermer. Les choses ne s’étaient pas miraculeusement arrangées. Mais peut-être que le temps allait aider à faire passer l’évènement, à faire cicatriser cette vieille blessure rouverte. Peut-être qu’en effet, tout finirait par aller mieux. Calme-toi. Elle se sentait parfaitement calme. Plus ou moins. L’étrange sérénité qui restée cachée quelque part au fond d’elle, dont elle ne parvenait toujours pas à expliquer les causes, n’était pas seule. Il était vrai qu’il y avait cette inquiétude : que faire maintenant ? A quoi vouerait-elle sa vie ? Mais elle maitrisait pour le moment ces pensées effrayantes, l’alcool l’aidant à ne pas trop songer à l’avenir. Et puis il y avait la peine : sans qu’elle le désire, elle qui avait pourtant déjà trop pleuré sentait l’humidité excessive de ses yeux. Et alors qu’un relent de fierté refusait qu’elle verse encore des larmes à cause de lui, elle ne put retenir trois petites gouttes salées. Chut. Oui, le silence était agréable. Elle avait besoin de ce silence. Elle ne demandait rien d’autre. Elle ne voulait pas parler de ce qui l’avait mise dans un tel état. Comme beaucoup de chose, elle voulait garder ce qu’elle considérait comme une véritable trahison, une injustice terrible, pour elle seule. Et même si Liven et Loghan étaient tout à fait en droit de savoir ce qui lui arrivait, elle ne comptait absolument pas le leur dire un jour. C’est bon. Non, ce n’était pas bon. Elle avait mal. Terriblement mal. C’était une douleur plus forte que tout, une douleur que même l’alcool n’avait pas réussi à noyer. Une douleur qu’elle tentait, tant bien que mal, de retenir. Une douleur qui l’avait terrassée trois jours entiers et contre laquelle elle s’était enfin décidée à lutter.

      Un signal d’alarme fut tiré quelque part, dans son cerveau brumeux d’alcool. Pourquoi restait-elle dans ces bras ? Elle ne le supportait pas. Elle ne pouvait pas le supporter. Elle ne le supportait jamais. Et puis ça lui rappelait celui qu’elle avait tant aimé et qu’elle détestait aujourd’hui. Pourtant, elle ne se sentit pas la force de lutter pour se libérer. Après tout, elle avait désiré ce contact. Profondément. Elle l’avait provoqué. Et il lui faisait du bien en même temps qu’il l’effrayait. Déchirée par des sentiments contradictoires, son esprit divagua sur un autre point, se révolta ailleurs. Comment pouvait-elle se montrer comme ça devant tant de regards curieux ? Sa peine ne regardait qu’elle. Elle était la seule qui avait le droit de savoir ce qu’elle ressentait. Même ceux qu’elle aimait ne pouvait pas le savoir, d’ordinaire : mais si cela ne la dérangeait même plus, elle sentait bien les yeux étrangers rivés sur eux. Elle ne les tolérait pas : elle se sentit plus mal encore de savoir que tout le monde découvrait alors qu’elle n’était pas infaillible. Seuls les deux élus que son cœur avait arbitrairement choisis avaient le droit de la voir dans cet état : tous les autres ne pouvaient pas la regarder. La reconnaissance qu’elle sentait déjà poindre envers Liven de s’être montré présent, rassurant ne fit que croître alors qu’il l’entraînait à l’écart. Elle se laissa conduire sans faire d’histoire. C’était tout ce qu’elle voulait, après tout. Elle était restée cachée trois jours durant pour que personne ne sache à quel point son âme était en morceau. Elle ne pouvait pas exposer maintenant toute sa douleur aux yeux du monde. Elle avait toujours cultivé le secret. Elle le cultiverait aussi longtemps qu’elle le pourrait. A l’écart, elle se sentit mieux. Sans tout ces gens qui cherchaient sans doute à comprendre, comprendre ce qu’elle faisait, comprendre pourquoi elle le faisait, la comprendre elle… Impardonnable. Elle n’était pas compréhensible. Elle-même ne se comprenait pas. Et surtout, elle refusait qu’on cherche à la comprendre. Si elle ne pouvait avoir la vie qu’elle désirait, avec la relation amoureuse passionnée dont elle venait de faire une seconde fois le deuil faute d’être aimée en retour par cet homme qu’elle avait cru mort, au moins voulait-elle garder le contrôle total sur ses pensées et ses actes, au moins voulait elle être libre d’agir comme elle l’entendait, quand bien même son attitude pouvait être étrange. Au moins voulait-elle que personne ne puisse se targuer de la connaitre par cœur. De la connaitre tout court.

      Présents. Ils avaient beau ne pas savoir tout d’elle, Liven et Loghan étaient tout de même là. Ils n’en avaient pas le droit. Il n’avait pas le droit d’être là pour elle… Non. C’était faux. C’était Isuzu qui n’avait pas le droit de les avoir. Elle n’avait rien fait pour chercher leur amitié. Au contraire. Elle n’avait pas le droit à l’amour, certainement, puisque même lui, celui qui était censé avoir bravé la mort pour elle, avait fini par l’abandonner. Elle n’avait pas le droit de les repousser si longtemps puis de venir, là, alors qu’elle allait mal, sans la moindre explication, chercher soutien et réconfort. Oh, elle était prête à tout pour eux : mais ils n’avaient pas le droit de lui rendre la pareille. Les larmes lui remontèrent aux yeux en entendant Liven l’assurer de leur présence, qu’elle retint difficilement. Et pourtant, pourtant, elle se sentait terriblement bien alors qu’ils n’étaient plus que tout les trois. C’était tout ce qu’elle avait souhaité. Elle restait blottie contre Liven, étrangement apaisée. Elle n’avait pas le droit de les avoir près d’elle. Elle ne les méritait pas. Mais elle ressentait un bien fou malgré la douleur en sachant qu’ils étaient et resteraient là. Doucement, sans savoir au bout de combien de temps exactement, elle se détacha du blond : si sa tête tourna à cause de l’alcool, elle réussit une fois encore à tenir le choc. Elle lança un regard à Loghan avant de replonger ses yeux dans ceux de Liven. Si son regard était toujours aussi triste, il restait sec. Elle endiguait le flot de larmes qu’elle ne voulait plus voir poindre. Elle ne pouvait plus pleurer pour lui. Elle n’en avait pas le droit.

      « Je… »

      Sa voix était toujours aussi enrouée, son ton toujours aussi triste. Qu’avait-elle voulu dire ? Elle-même n’en était pas certaine. Je vais mal ? Il n’avait pas besoin qu’elle le dise pour le savoir, il suffisait de la regarder, elle d’ordinaire si digne, si froide, si forte et ce soir si brisée. Je suis désolée ? Elle ne leur devait pas d’excuses, elle agissait comme elle l’entendait. Ou peut-être sentait-elle qu’elle aurait dû s’excuser. Pour leur tomber dessus comme cela. Pour les avoir, sans doute, inquiéter. Pour ne pas leur livrer la moindre explication. Mais elle refusait de s’excuser, sans savoir pourquoi. Peut-être par fierté. Ou alors, parce qu’elle sentait bien que des excuses étaient inutiles. Ou alors parce qu’elle craignait de fondre en larmes si jamais elle s’excusait. Peu importait. Elle ne savait plus ce qu’elle avait voulu dire, et une forme de panique s’empara alors d’elle. Elle avait trop peur qu’ils se mettent à lui poser des questions. Perdant ses beaux yeux sombres autour d’elle, détaillant la pièce comme elle le pouvait à la rechercher d’une distraction quelconque, ce fut en posant finalement ses yeux sur Loghan qu’elle trouva. Toujours avec la même démarche à la fois étrangement assurée sachant comme elle avait bu mais aussi trop peu lorsqu’on la connaissait, elle se dirigea vers l’anorexique, tranquillement. Glissant ses deux bras autour de ses épaules pour l’étreindre, elle lui adressa un sourire léger certes doux et beau, mais déchirant de douleur et de peine. C’est en le regardant droit dans les yeux qu’elle prononça quelques mots à son intention.

      « Tu devrais manger. »

      Ce n’était pas un ordre comme elle avait l’habitude de lui en donner. Ce n’était pas un simple « mange » glacial qui s’offusquerait d’une protestation. C’était un conseil, et le fait en soit était surprenant. Un conseil sur le même ton qu’utilisé précédemment. Il devrait manger. Parce qu’il fallait qu’il vive. Parce qu’elle serait triste de le voir disparaître, lui. Elle se pressa contre lui, légèrement. Comme si donner et recevoir une étreinte symboliserait le soutien qu’ils étaient prêts à lui donner. Ce n’était pas qu’une futile diversion. C’était un vrai besoin qu’elle avait de le sentir là, physiquement, tout comme elle avait pu ressentir la présence salvatrice de Liven précédemment. Parce que ces deux là avaient une importance capitale pour elle, une importance qu’elle cachait bien souvent mais qui restait enfouie sous les faux-semblants.
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    Message  Liven Reaves Mer 22 Juin 2011 - 20:21

      D'une main, posée sur son épaule, elle affermit le contact mal assuré et maladroit qu'elle avait initié. Puis, son corps se détacha de l'étreinte dans laquelle il s'était blotti. Les bras qui l'entouraient glissèrent sans résistance sur ses épaules pour les quitter, ne laissant que la chaleur d'une main amicale s'attarder au dessus de son coude. Une douce fermeté, à la fois rassurante et sécurisante, comme si sa tendresse ne pouvait se défaire de son assurance. Ses gestes étaient lents et souples, pleins d'une sincérité que trahissait leur naturel. Imperceptiblement, son dos se creusa légèrement pour faire ressortir la voûte que formaient ses épaules alors qu'il se redressait. Tandis qu'il inclinait légèrement la tête de côté dans une attitude toujours soucieuse, ses yeux alertes et remplis d'inquiétude cherchèrent un regard qu'elle continuait de lui dérober. Il n'en fut pas surpris. Liven la connaissait bien plus qu'il n'aimait l'afficher, bien plus qu'elle ne l'aurait voulu. Isuzu était sauvage, intimidante, agressive, sèche, brutale, autoritaire, ingrate, revêche, insensible, et violente. Pourtant, lorsqu'elle se risquait avec réticence et méfiance sur le chemin de l'affection, alors qu'elle scrutait avec dégoût et dédain cette route qu'elle savait dangereuse, elle n'était plus que fragilité et hésitation. Comme un animal blessé qui redoute le danger, et ne vit que dans la crainte de le rencontrer. Une crainte teintée de l'espoir enivrant de lui échapper. Chacun de ses pas est une victoire incertaine car, effrayée d'un geste ou d'une parole trop sincère, elle recule et se dérobe à la main tendue par l'amitié. Difficile à approcher, la crainte du moindre piège, la présence du moindre doute, l'obligent à redevenir distante et inaccessible. Oui, Liven la connaissait bien mieux qu'elle ne pouvait s'en douter. Et sous ses airs nonchalants, remplis d'un flegme insouciant et provocateur, d'une moquerie facile et arrogante, le jeune homme dissimulait un attachement bien plus fort et bien plus sincère que l'on ne pouvait le soupçonner au premier abord. Mais en dépit de cette relation instable faîte d'hésitations réciproques, de menaces, d'interdits, partagée entre la haine et l'amitié, entre l'irritation et la tendresse, Liven demeurait d'une fidélité d'autant plus précieuse qu'il n'attendait rien en retour, et elle le savait. Ses yeux humides se relevèrent avec la grâce abîmée qui naît de la douleur d'une fierté malmenée.


      - Je…


      Sa voix s'évanouit dans la tristesse d'un silence hésitant, dans une gorge que resserraient les larmes qu'elle ravalait pourtant. Les doigts de Liven pressèrent doucement son bras, son pouce caressa lentement sa peau, présence indicible, encouragement discret et rempli de pudeur. Quelque chose en elle de brisé, retint les mots qu'il voulu prononcé. Ses lèvres se suspendirent, entrouvertes, soumises à la supplique, à l'interdiction qu'il voyait dans ses yeux. L'intensité bleuté de son regard s'était à nouveau perdue dans l'obscurité rassurante du sien, deux perles d'onyx extraites des abysses qui semblaient perdues, démunies, effrayées. D'un geste aussi vif que retenu, avec la dignité et la discrétion qu'il savait nécessaire d'afficher pour la rassurer, il inclina brièvement la tête en fermant les yeux. Il comprenait. Ce n'était pas grave. Lorsqu'il les rouvrit, ce fut pour suivre sa silhouette gracile s'éloigner et rejoindre cette autre, décharnée. Un pincement d'inquiétude effleura son cœur à l'idée qu'elle n'aille se renfermer plus violemment encore dans ce carcan de glace donc elle croyait s'être fait une forteresse, ignorant qu'il s'agissait d'une prison. Sans doute plus tard, lorsque la louve solitaire qu'elle était aurait pansé ses plaies, reniera-t-elle ces quelques instants de faiblesse devenus tabous avant même qu'ils n'aient été vécus. Liven soupira faiblement, douloureusement las en sachant que malgré ses efforts et sa loyauté, il ne connaîtrait sans doute jamais la source de ce désespoir qu'elle entretenait avec tant d'acharnement, qui la détruisait avec tant de zèle et de cruauté. Soudain, la surprise remit à mal l'assurance de ses certitudes. Aurait-il un jour songé qu'elle puisse ainsi étreindre un punk anorexique et défoncé à l'héroïne ? Un sourire naquit au coin de ses lèvres, comme une bienveillance instinctive teintée d'un regret. Aurait-il seulement songé qu'un jour elle vienne se blottir dans ses bras pour y trouver du réconfort ? Liven avisa une carafe d'eau et dirigea ses pas vers la petite table marquetée.


      Sa confiance en Loghan n'était plus à démontrer, pas plus que l'attitude d'Isuzu n'était à brusquer. Alors qu'il s'éloignait en leur tournant le dos, leur accordant une intimité relative mais qu'il crut nécessaire, il savait pouvoir la laisser entre ses mains sans crainte si c'était ce qu'elle désirait. Cependant, une sensation oppressante ne tarda pas à naître dans sa poitrine, comme le barrage qu'il avait instinctivement érigé pour retenir le flot des questions dont il brûlait de la presser venait de se rompre. Avec pragmatisme et assurance, Liven avait su les occulter le temps de parer à la première urgence, le temps qu'il puisse la soutenir sans l'accabler, le temps qu'elle se ressaisisse. Toutefois, ses réflexes que dictaient l'émotion commençaient à disparaître, remplacés par une inquiétude qui s'offrait toute entière aux angoisses et qui menaçait de le submerger. Reprenant brutalement conscience de la réalité à cette pensée, il releva la carafe avant que l'eau ne déborde du verre qu'il servait. En silence, il s'enjoignit au calme tandis que son esprit indiscipliné tentait de donner un peu de cohérence à ces bribes d'explications qu'il avait pu saisir ci et là. Avant tout, il y avait cette absence qui lui avait paru interminable, ce silence. Trois jours dont il ne savait rien et durant lesquels tout aurait pu se produire. Puis, l'enivrement de l'alcool que l'on espère apaisant mais qui abat chacune de nos murailles. Il le savait, Isuzu ne buvait jamais afin de rester parfaitement alerte en toute circonstance, afin de demeurer capable de maîtriser le moindre aspect de sa personnalité qu'elle ne voulait trahir sous aucun prétexte. Enfin, il y avait cette étreinte, spontanée, brutale, abandonnée. Et c'était peut être ce qui lui semblait le plus inimaginable. Au final, Liven réalisa qu'il n'avait trouvé qu'une seule des réponses aux questions qu'il se posait inlassablement. Ce « pourquoi » demeurait désagréablement inexpliqué. Les sourcils néanmoins froncé, le jeune homme s'imposa avec rigueur d'afficher un visage neutre pour ne pas réveiller les craintes de son amie, de sa protégée. Il était inutile de l'affoler en exigeant des réponses qu'elle n'était certainement pas en état de fournir. D'une main leste, il saisit le verre d'eau pour le porter contre l'épaule d'Isuzu pour attirer son attention, s'avançant d'une démarche flegmatique mais décidée comme à son habitude.


      - Tu devrais le boire, pour te dégriser.



      Il ne lui lança qu'un regard vague, conscient que son inquiétude continuerait d'y être parfaitement lisible et refusant que l'intensité de ses iris ne la mette à nouveau dans un état de défiance plein d'amertume. Sa voix demeura douce quoiqu'investie de l'autorité qu'induit la sagesse et le bon sens. De toute façon, il était commun que Liven s'exprime au travers de murmures dans lesquels se consumaient et renaissaient les modulations grave et cassée de son timbre, ponctués d'une articulation claire et franche. C'était une voix qui enjoignait à la confiance et à l'obéissance volontaire.


      - Allez, viens t'asseoir.


      D'un mouvement léger du menton, il indiqua le chesterfield de cuir brun qui composait la pièce maîtresse du mobilier sobre mais élégant du petit salon. Liven ne voulait pas la forcer ou tenter de savoir ce qu'elle désirait lui cacher. Mais il refusait l'impuissance à laquelle cette méconnaissance le condamnait. S'il était possible qu'un jour, elle puisse se confier à lui, ne serait-ce qu'une infime partie des peines qu'elle supportait seule, alors c'était aujourd'hui. Oui, ils étaient là. Pour la soutenir, la rassurer, l'écouter. Pour la protéger, si seulement elle voulait bien leur en laisser la moindre chance.
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    Message  Loghan Rasal Mer 29 Juin 2011 - 18:38

      Le mot fut prononcé d'une voix tout aussi enrouée et brisée que lorsqu'elle avait appelé Liven par son prénom, quelques instant plus tôt. Une voix basse, cassée, une voix perdue, une voix oppressée par le nœud qui devait lui comprimait la gorge, une voix sortie de l'âme qui n'était que l'image parfaite d'un désespoir profond et existant, un désespoir connu d'elle seule et qui ne serait probablement jamais connu par personne d'autre. Non pas que cela gênât Loghan. Il n'avait même pas besoin de s'interroger pour savoir qu'Isuzu garderait tout pour elle, il le savait déjà. Il l'avait probablement toujours su dès la première fois où il avait posé les yeux sur elle. Et il savait qu'il devait en être de même pour Liven. Il le vit sur son visage, dans ses yeux, lorsqu'il fronça imperceptiblement les sourcils et entrouvrit la bouche sans rien dire, comme s'il voulait poser la question qu'il y avait à poser mais qu'il se retenait en sachant qu'Isuzu ne voulait pas que l'on pose la moindre question. Bien sûr qu'il le savait, lui aussi. Il devait même le savoir mieux que lui, le savoir depuis plus longtemps. Les mains glissées dans les poches étroites de son jeans déchiré plus ou moins artistiquement, Loghan attendit tranquillement sans bouger et sans chercher à intervenir, statue étrangement dégingandée plantée sur le plancher d'un salon banal, les yeux qui ne cillaient pas assez posés avec une tendresse indescriptible sur les deux autres statues vivantes de la pièce, des statues de glace à la grâce polaire à l'intérieur desquelles, il le savait, couvait un brasier ardent et déchirant dont les flammes dévorantes ne faisaient que sublimer la beauté de leur humanité qu'ils désiraient garder cachée. De la glace forgée avec le feu. Similaires et contraires, semblables et différents, ils étaient aussi antinomiques que synonymes. Ils étaient juste Isuzu Kamageta et Liven Reaves, à vrai dire, et c'était ce qui faisait tout.

      Les yeux d'Isuzu s'égarèrent dans les quatre coins de la pièce, comme s'il lui prenait soudain l'envie pressante de détailler les lieux dans lesquels elle se trouvait. Sauf qu'elle était surtout en quête d'une diversion, d'un nouveau point d'ancrage auquel s'accrocher un temps, juste un temps, le temps de pouvoir mieux se remettre à flot, et cela Loghan le saisit lorsqu'il vit ces yeux si sombres mais beaux s'arrêter sur lui. Il ne bougea toujours pas, ne chercha pas à venir lui imposer une présence qu'il était dans son droit de ne pas désirer. Les points d'ancrage ne devaient pas bouger, ils devaient juste rester là et être là. Et quand bien même il se doutait de tout ça, quand bien même il savait tout ça, l'anorexique ne put néanmoins s'empêcher de ressentir une surprise légitime lorsque les bras fins d'Isuzu vinrent se glisser autour de ses épaules, doucement et sans prévenir. Tout simplement parce qu'une étreinte d'Isuzu Kamageta n'avait jamais fait partie de sa liste des choses qu'il croyait possibles. Ce contact avait un goût d'irréalité, le goût des songes éveillés, celui de la légèreté engendrée par la drogue déversée dans les veines usées. Quelque chose d'incontestablement agréable. Et Loghan planta ses yeux dans les siens, avec une légère pointe d'interrogation manifeste dans les prunelles lorsqu'il vit ce sourire étrangement beau et triste se dessiner sur les lèvres de la jeune femme. Puis cette interrogation se mua en compréhension et une certaine peine qu'il était le seul à comprendre lorsque les trois mots furent prononcés, de manière si radicalement différente de ce qu'il avait déjà pu avoir droit dans le bureau d'Isuzu lorsqu'il venait réclamer une prime. Ce n'était plus un ordre mais un conseil et c'était cela qui faisait toute la différence, cela qui le surprit et le laissa une seconde délicieusement interdit. Puis il enleva les mains de ses poches dans un geste d'automate humain pour les lever avec douceur et en placer une à plat dans le dos d'Isuzu, pendant que l'autre venait se positionner au bas de son crâne, en haut de la nuque, des mèches ébènes venant lui chatouiller les doigts.

      - Je sais.

      La voix basse et posée, la voix qui comprend, qui sait, mais la voix qui ne compte pas changer. Loghan lui rendit son étreinte sans brusquerie ni violence, laissant la douceur imprégner ses membres bien trop maigres pour la transmettre à la chef des Chasseurs de primes et lui prodiguer ce qu'il pouvait de réconfort, d'assurance. Fermant à demi les paupières, il huma la douce odeur d'Isuzu qu'il avait déjà pu remarquer mais qui était aujourd'hui mêlée à celle de l'alcool. Puis il les rouvrit et dévia les yeux du côté lorsque le verre d'eau tenu par Liven vint se poser contre l'épaule d'Isuzu pour attirer son attention. Loghan laissa toujours aussi doucement ses mains retomber, les décollant du dos de la jeune femme pour lui laisser tout le loisir de reculer, de prendre ce verre que lui tendait le blond et d'aller s'assoir, comme ce dernier lui proposait. Il se contenta quant-à lui de lui offrir un léger sourire avenant qui se voulait rassurant, comme pour appuyer sans paroles le conseil de Liven.
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    Message  Isuzu Kamageta Mer 13 Juil 2011 - 20:18

      Il savait. Son sourire prit une teinte plus triste encore. Isuzu savait parfaitement que Loghan ne mangerait pas parce qu’elle venait de le lui conseiller et ce, bien qu’il sache parfaitement qu’il en avait besoin. Pour l’instant, sa tête tournait trop et ses idées étaient bien trop troublées pour qu’elle puisse insister en ce sens : mais elle ne manquerait pas de recommencer plus tard, comme elle le faisait depuis un moment déjà et ce, plus fermement qu’en cet instant. Mais elle décida de le laisser tranquille, pour un moment au moins, en sentant ses bras décharnés autour de son corps frêle. Ce contact était indéniablement rassurant, et ce, même si elle en détestait l’essence. Pour une fois, rien qu’une fois, elle avait décidé de mettre de côté son rejet de l’homme et des contacts affectifs et appuyés. Elle avait même désespérément besoin de ce doux poison qu’était l’amour. Elle ferma les yeux, se serrant un peu plus fort contre lui et ce avec plaisir. L’événement était rare : ni Loghan ni Liven n’auraient pu imaginer qu’elle les étreigne aussi volontairement un jour, n’est-ce pas ? Et pourtant, pourtant, elle en avait eu envie, peu à peu, au fond d’elle, alors que leur amitié devenait trop importante pour qu’elle puisse continuer à l’ignorer. Elle savait qu’elle pouvait compter sur eux, et elle venait de le leur montrer en s’échouant près d’eux après avoir été ballotée par les vagues du désespoir, ne parvenant plus à garder sa tête hors de l’eau. Elle ne voulait même pas songer à l’après qui l’effrayait tant : elle était juste bien, entourée des deux hommes qu’elle aimait le plus au monde, avec la certitude qu’ils étaient là, qu’ils resteraient là, qu’ils ne la trahiraient pas et qu’ils la protégerait au besoin. Oh, elle avait alors plus conscience que jamais de leur présence : elle savait tout aussi bien, malgré son esprit troublé par la peine et l’alcool, que jamais elle ne se servirait vraiment de leur présence, de peur de vraiment dépendre d’eux. Et ce tout en sachant qu’il était déjà trop tard, d’une certaine façon : s’ils n’avaient pas été là, elle aurait sans aucun doute suivi son médaillon au fond de l’eau. Et si ça aurait dû lui déplaire, elle se sentait incontestablement soulagée de sentir qu’elle n’était pas seule : elle se trouvait confrontée à sa pire contradiction, son besoin incontestable d’amour contre son désir d’être seule pour ne plus souffrir et ne plus faire souffrir personne.

      Un contact froid contre son épaule lui fit rouvrir les yeux et tourner la tête vers Liven, tout en restant blottie contre Loghan. Boire. Elle avait trop bu déjà. Elle ne voulait plus avaler la moindre goutte de quoi que ce soit. Un instant, perdue, elle fut sur le point de refuser, se collant de ce fait un peu plus contre Loghan. Mais la raison s’empara de nouveau d’elle, aidée par le doux murmure de son ami. Oui, elle avait besoin de boire. Ca lui ferait sûrement du bien, ça l’aiderait à avoir les idées plus claires. Elle se détacha alors délicatement de l’anorexique qui l’avait déjà lâchée, les regarda tour à tour sans un mot mais avec toujours cette même émotion débordante, avant de poser ses yeux sur le verre que Liven lui proposait. Elle sembla hésiter un instant encore mais finit par l’écouter et glissa sa main autour du verre, effleurant légèrement les doigts de Liven dans son geste. Le saisissant, elle en contempla l’eau tremblotante. Une eau où elle avait passé des heures à perdre ses yeux. Une eau où elle avait abandonné son dernier lien au passé, où elle avait souhaité laver les souvenirs et s’était confrontée à l’échec. Se débarrasser du médaillon avait été inutile : ça n’avait supprimé ni son amour, ni sa haine, ni sa peine. Car envers cet homme elle éprouvait des sentiments contradictoires : l’amour qui l’avait consumée si longtemps luttait contre la haine profonde que leur dernière entrevue avait créée. Le soulagement de le voir, de le voir bien vivant contrairement à ce qu’elle pensait depuis trop de temps, se disputait à un désir violent qu’elle réprimait de le voir mort. Sa parfaite conscience de la réalité s’opposait violemment à son désir de croire qu’il ne s’était rien passé, qu’elle avait rêvé trois jours durant que son plus grand idéal ait tourné au vinaigre le plus aigre. Et l’eau n’avait pas suffit à la débarrasser de tout ça. Elle avait donc cherché refuge dans l’alcool : si cela lui avait permis d’acquérir une certaine sérénité qui s’était dissimulée sous le maelstrom de sentiments qui bouillonnaient en elle et de réduire suffisamment sa fierté pour qu’elle accepte d’exposer ses blessures au moins devant Liven et Loghan, elle savait que ce ne serait qu’éphémère. Et il était temps de faire face à la réalité.

      C’est pourquoi, doucement, avec toujours cette délicieuse démarche assez assurée sans l’être suffisamment pour Isuzu Kamageta, elle alla s’installer au milieu du Chesterfield, obéissant docilement à Liven. Elle ne regarda aucun des deux hommes de la pièce : elle leur faisait pleinement confiance et ne sentait pas la nécessité de surveiller leurs actes. Et puis, doucement, elle laissa l’eau couler dans sa gorge, les yeux clos. Sa tête lui tournait encore un peu, mais ce n’était absolument pas grave. Tout ce qui lui importait, c’était qu’elle n’était pas seule. Mais en même temps, elle sentait que quelque chose la dérangeait, que quelque chose n’était pas normal. A cet instant, elle n’arrivait plus vraiment à savoir quoi. Leur présence ? Elle se sentait trop bien auprès d’eux pour que ce soit le cas, et elle avait choisi leur présence. L’alcool ? Elle l’avait pleinement désiré, elle en avait eu besoin, ou du moins l’avait-elle cru. Presque par automatisme, elle porta une main à son cou nu : était-ce sa chaine qui lui manquait ? Impossible. Elle se sentait trop soulagée d’en être débarrassée. Son passé n’avait certes pas disparu, mais au moins l’insupportable sensation d’appartenir à cet homme qui aurait dû faire son bonheur et qui était parue inacceptable après leur entrevue avait disparue. Elle reposa la main qu’elle avait perdue dans son cou contre le verre, rejoignant l’autre. Puis elle leva les yeux, regarda Liven et Loghan tour à tour, et elle compris. Ce fut d’une voix un peu moins enrouée qu’avant mais toujours aussi triste et basse qu’elle prit alors la parole, remplie d’une douce amertume.

      « Vous devriez me laisser. »

      Le voulait-elle ? Non. Elle ne le souhaitait pas du tout. Tout ce qu’elle désirait, c’était qu’ils restent avec elle, le plus longtemps possible. Et pourtant, pourtant, elle leur conseillait de partir. En fait, quelque part, elle voulait vraiment qu’ils la laissent. Ou plutôt, sa volonté ne devait pas jouer dans les faits : elle n’avait pas le droit de les avoir, elle n’avait pas le droit de venir, comme ça, détruite, chercher leur soutien pour les traiter plus durement que jamais par la suite, elle n’avait pas le droit de chercher du réconfort sans compter pour autant leur donner la moindre explication. Elle n’avait pas le droit de leur faire tout ça, pas avec tout ce qu’elle leur avait fait subir auparavant. Liven… Chacune de leurs entrevues avaient été explosives. Tout récemment, elle lui avait même fait croire qu’elle était morte. Avec cet épisode, une douleur psychologique et légère sembla poindre à nouveau sur le bras qu’il avait meurtri. Loghan. Elle le harcelait, littéralement, pour qu’il mange, alors qu’elle savait parfaitement l’horreur que cet acte inspirait à l’anorexique pour l’avoir déjà subi. Et elle insistait, elle le faisait chanter en profitant de sa soumission et du fait qu’il n’irait pas porter plainte contre elle. Oh, il aurait pu… Elle compléta alors sur le même ton, donnant de ce fait un sens bien plus profond à ses paroles que celui qui apparaissait de prime abord.

      « Vous devriez me laisser avant que je vous fasses souffrir vous aussi. »

      Il le lui avait dit qu’elle l’avait fait souffrir. Elle n’imaginait rien, elle le tenait de sa bouche. Et elle ne tenait absolument pas à faire du mal à ces deux personnes qui lui étaient si précieuse. Elle préfèrerait la difficulté d’une séparation à l’idée même de leur faire du mal, tout en sachant parfaitement qu’elle avait dû le faire. Elle était destructrice, elle le savait et il le lui avait dit. Tout ce qu’elle tenait entre ses mains, elle le réduisait en poussière, ou du moins en était-elle persuadée. Ainsi, plus que de la laisser seule dans ce salon privé, elle voulait qu’ils la laissent seule dans sa vie, pour toujours. Pour leur bien. Et ce même si elle mourrait s’ils la laissaient.

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