Histoire
1. Diane
Diane était une éternelle romantique.
Élevée dans un foyer qui lui avait appris très tôt à cacher ses pouvoirs (malgré leur faiblesse), elle avait toujours rêvé qu'un prince charmant vienne un jour l'arracher à sa vie monotone pour lui faire découvrir le monde qu'on lui évoquait en cours. Et tant pis s'il s'agissait d'un monde triste et désolé, ce qui lui importait le plus était l'idée de vivre une aventure avec l'amour de sa vie.
Et lorsqu'elle rencontra Kenneth, elle pensait vraiment l'avoir rencontré, l'amour de sa vie.
Il faut dire qu'il avait de quoi séduire une jeune fille de dix-sept ans en quête de romance : grand brun aux yeux clairs et au corps dessiné par sa carrière dans l'armée, il était tout juste majeur et dégageait pourtant déjà un magnétisme empli de mystère. Elle l'avait aperçu pour la première fois lors d'une patrouille, alors qu'elle participait au nettoyage de la salle communautaire, et s'était empressée de le pointer du doigt à sa meilleur amie, Hannah. Diane jurait qu'elle avait été discrète, Hannah lui assurait que le beau soldat les avait définitivement surprises alors qu'elles l'observaient. Quoi qu'il en soit, il fallut attendre trois semaines pour que Diane rencontre officiellement son prince charmant.
Apprêtée pour le bal du printemps, elle regardait avec envie son amie danser avec celui qui deviendrait plus tard son mari, Peter. Et c'est alors qu'elle songeait à combien elle aimerait elle aussi avoir un cavalier qu'il apparut.
Comme tout droit sorti d'une comédie romantique, charmant dans son uniforme réglementaire, il se présenta devant elle, main tendue, l'invitant à danser. Elle était folle de joie, alors qu'elle découvrait un homme charmant malgré son attitude secrète. Elle sentait les regards se poser sur eux, imaginait que les demoiselles célibataires l'enviaient certainement d'avoir si beau cavalier pour l'accompagner ; elle ignorait combien elle pouvait être belle, avec ses traits doux, ses yeux d'azur et ses longs cheveux blonds, relevés en un élégant chignon pour l'occasion.
La soirée se conclut bien trop tôt et Kenneth lui promit qu'ils se reverraient bientôt. Diane était aux anges et ne cessa de parler de cette soirée magique des jours durant. Hannah, qui avait toujours été la plus raisonnable d'entre elles, l'invitait à la méfiance : après tout, son prince charmant était l'ennemi, entraîné à traquer les magas pour « éliminer toute menace et protéger le peuple », d'une façon ou d'une autre. Mais Diane, emportée dans son fantasme, ignora les recommendations de son amie. Oh, elle n'était pas assez naïve pour lui confier son secret ; juste assez pour lui offrir son cœur.
Il tint promesse et ils se rencontrèrent encore, environ une semaine plus tard. Ils entamèrent alors une relation, rythmée bien entendu par les obligations militaires de Kenneth et les obligations citoyennes de Diane. Leur idylle dura un peu plus d'un an et, bien qu'elle n'ait jamais eu l'occasion de présenter son amour à ses amis, Diane en était sûre : ils vieilliraient ensemble.
Le conte de fée pris fin alors que Diane tomba enceinte.
Au départ, elle aborda la nouvelle avec sérénité : c'était vraiment l'occasion d'officialiser leur relation et de construire un avenir, une famille. Tant pis pour ses rêves d'aventures : elle allait créer quelque chose avec l'amour de sa vie, quelque chose de bien plus fort. Elle allait avoir un enfant.
Le désenchantement arriva après qu'elle l'ait annoncé à son soldat. Il n'avait pas sauté de joie à l'idée d'avoir un enfant, au contraire : pour la première fois, elle avait lu quelque chose qui s'apparentait à de la crainte sur le visage de Kenneth. Il n'avait pas dit grand chose, lui avait juste demandé si beaucoup de gens savaient qu'elle était enceinte et lui avait déclaré que, même si la situation était loin d'être idéale, il allait faire en sorte que ça marche. Et Diane, bien que d'abord blessée par le fait qu'il n'accueille pas la nouvelle avec joie, l'avait cru : après tout, n'était-il pas normal qu'il s'inquiète d'avoir un enfant alors que sa carrière commençait à peine et qu'il n'avait pas vingt ans ?
Elle ne revit jamais Kenneth.
Au début, elle s'était persuadée qu'il avait dû être affecté à un autre quartier, qu'il avait beaucoup de missions ; c'était peut être même pour ça qu'il avait dit que leur situation n'était pas idéale. Mais elle ne put se bercer d'illusions bien longtemps : il les avait abandonnés, elle et leur enfant. Il n'avait rien d'un prince charmant, et elle s'en rendit bien compte alors que son fils venait de célébrer sa première année et qu'une nouvelle vint détruire les derniers illusions qu'elle nourrissait au sujet d'un Kenneth qui avait été peut être envoyé dans un pays étranger en mission secrète et viendrait la retrouver dès qu'il serait relevé : il venait d'épouser la fille du ministre de la paix.
Pourtant, Diane ne laissa pas l'amertume la consumer. Si sa relation ne s'était pas conclue comme elle l'avait rêvée, elle lui avait au moins permis de rencontrer le véritable amour de sa vie : son fils, Roxas.
Bien entendu, être une mère magas sur l'île d'Arkan n'avait rien d'évident. Tous les jours, elle craignait un incident qui trahirait son secret. Heureusement, elle bénéficiait toujours du soutien d'Hannah et Peter, qui avait eu une petite fille deux mois après qu'elle ait mis son fils au monde.
Roxas ne présenta pas la moindre trace de magie. Quelque part, ce fut un soulagement ; au moins, il ne risquait pas une condamnation pour le simple fait d'exister. Très vite, Diane décida de cacher son propre don à son fils, craignant peut être tout au fond d'elle une autre trahison de la personne qui comptait alors le plus à ses yeux – et, pour une fois dans sa vie, elle fit preuve de prudence dans le climat délétère qui régissait leurs vies.
Elle avait aussi décidé de préserver le secret sur l'identité de Kenneth et sur le fait qu'il était soldat : si son fils lui posait des questions sur l'identité de son père, elle trouvait des astuces pour le distraire et les éviter.
Elle avait conscience qu'il était sans doute dangereux pour son fils de le laisser se lier aux enfants de sa meilleure amie qui, eux, avaient développé leurs dons. Mais elle n'avait pas le cœur de les séparer et de tourner le dos aux seules personnes qui l'avaient soutenue à travers les années. Et, outre son souci de préserver ses liens avec Peter et Hannah, la petite Liana et Roxas étaient devenus vite tellement proches que les éloigner l'un de l'autre briserait bien des cœurs. Les deux enfants avaient aussi décrété qu'il était de leur devoir de protéger Maniel, le petit frère de Liana.
Après tout, Hannah avait garanti à Diane qu'elle enseignait le secret à ses enfants, comme elles avaient dû l'apprendre elles-même enfant ; qu'elle leur avait fait promettre de ne le répéter à personne, même pas à Roxas. Et pour protéger son fils, Diane avait elle-même essayé de piéger Liana pour la pousser à la confession, sans succès alors qu'elle la considéraient presque comme une seconde mère.
Alors, tout irait bien, n'est-ce pas ?
2. Liana
Être une adolescente Maga sur l'île d'Arkan n'avait rien d'évident.
Liana avait appris depuis sa plus tendre enfance à garder le secret sur une nature qu'elle n'avait jamais recherchée. Ses parents l'avaient aidée à l'embrasser, tout comme ils avaient pu aider beaucoup d'autres enfants magas à avoir un contrôle rudimentaire de leurs pouvoirs, toujours cachés.
Liana savait que c'était ces écoles clandestines qui avaient tuées ses parents.
Oh, ils avaient beau dire qu'il s'agissait d'un accident, elle n'était pas dupe. Ses parents avaient bien conscience des risques qu'ils encourraient, et elle se savait chanceuse de ne pas avoir été entraînée dans leur chute. Elle avait encore du mal à apprivoiser les sentiments qu'elle ressentait depuis leur mort. Il y avait de l'admiration, pour cette générosité envers d'autres âmes perdues qui les avaient menés à leur perte, mais il y avait aussi une forme de colère. Pourquoi avaient-ils dû s'impliquer à ce point, pourquoi est-ce qu'elle était devenue orpheline ?
Mais si elle avait de la colère et de la peine pour la situation dans laquelle elle se retrouvait avec Maniel, ça n'était rien par rapport aux sentiments compliqués qu'elle éprouvait pour Roxas.
Sa mère, Diane, n'était en aucun cas impliquée dans les actions illégales d'Hannah et Peter. Et pourtant, le même « accident » l'avait fauchée elle aussi : au mauvais endroit, au mauvais moment, sans aucun doute. Déjà dépourvu de père, Roxas était maintenant orphelin de mère, et c'était de la faute de ses parents. L'adolescente ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable, quelque part. C'était l'une des raisons qui l'avait poussée à supplier son oncle Tony de recueillir son frère de cœur. Bien entendu, sa demande avait aussi été motivée par l'affection profonde qu'elle portait au jeune homme. Ce n'était pas la première fois que des enfants se retrouvaient soudainement orphelins dans le quartier C ; et si aucun membre de leur communauté ne se dévouait pour les prendre en charge, ils disparaissaient. Sans doute transférés vers un autre quartier ou directement à la caserne, pour les plus âgés. Elle ne voulait pas perdre son meilleur ami.
Cette dernière année avait été loin d'être facile : son oncle, qu'elle ne connaissait que très peu, avait dû renoncer à son train de vie de célibataire endurci pour assumer trois enfants qui n'étaient pas les siens. Liana le voyait à peine, entre son travail dont il ne parlait d'ailleurs jamais et les différentes activités auxquelles toute la famille devait participer. Et les rares moments où il était chez lui, Tony n'était pas très loquace et leur adressait à peine la parole ; c'était presque comme vivre chez un fantôme. Comme s'il leur reprochait la perte de leurs parents, sa perte de liberté. Bien qu'elle lui était reconnaissante de leur avoir ouvert son foyer, elle ne pouvait s'empêcher, tout au fond, d'être en colère face à cette injustice. Ils n'avaient pas choisi d'être orphelins.
Ce sentiment de colère, elle le cultivait seule. Maniel était encore trop jeune, et trop choyé par Roxas et Liana, pour comprendre tout ça. Et Roxas avait fait son devoir d'aider Tony à s'occuper d'eux ; distributions de tracts publicitaires pour de nouvelles activité dans le quartier, collecte des ordures aux aurores, plonge du réfectoire de leur école, tonte et rabattage des moutons d'Arkan dans les hauteurs, même quelque passages dans les mines : aucun travail n'était trop dur pour l'adolesent, rien n'était en dessous de lui. Alors, lors de leurs moments volés quand il rentrait tard d'un autre petit boulot et que Liana finissait de préparer le canapé sur lequel son ami passerait la nuit, elle n'osait pas lui partager son indignation par rapport à leur situation. En réalité, elle avait presque honte de sa propre amertume alors que le jeune homme faisait tant d'efforts pour leur rendre la vie plus agréable. Alors ils se contentaient d'aborder des sujets légers, des conversations d'adolescents de quatorze ans presque normaux, comme si leurs vies n'avaient pas été chamboulée par une tragédie sur laquelle ils n'avaient aucun contrôle.
Sauf que cette soirée-là serait différente, et Liana l'ignorait complètement.
Comme d'habitude, elle avait bordé son petit frère de six ans, lui promettant de ne pas tarder à le rejoindre dans le lit qu'ils devaient partager. Comme d'habitude, elle avait accueilli son oncle après une longue journée de travail, lui avait servi sa soupe et s'était ensuite chargée de débarrasser et nettoyer l'espace commun, alors qu'il partait récupérer quelques précieuses heures de sommeil. Comme d'habitude, elle avait conclut son ménage en ajustant le plaid du canapé et sorti l'oreiller de Roxas du placard. Comme d'habitude, elle avait préparé du thé, qu'ils savoureraient lors de leur réunion secrète.
Et cette soirée commença comme toutes les autres. Roxas ouvrait doucement la porte d'entrée, soucieux de ne réveiller personne, rangea ensuite son manteau un peu trop court sur le crochet qui lui était dédié et vint s'installer sur le canapé. Liana servit le thé avant de s'installer à ses côtés, s'enquit de sa journée avant de raconter la sienne et d'enchaîner sur une conversation plus triviale.
Jusqu'à ce qu'un sujet maintes fois abordé fut remis au goût du jour.
« Tu sais, l'autre jour, quand j'ai bossé à la laverie ? Rappela Roxas.
- Dis moi ?
- J'ai pas mal discuté avec Allana. Son mari travaille avec ton oncle. Elle m'a dit qu'ils avaient parlé de moi. Apparemment, son mari disait des trucs, genre, que plus de jeunes du quartier devraient se défoncer pour aider chez eux comme je le fais...
- Oui, on le sait que tu es le jeune travailleur le plus méritant de la Nation, un vrai héros ! Répliqua Liana d'un ton moqueur qu'ils employait souvent. »
D'ordinaire, ce ton provoquait une réplique bien sentie chez Roxas, qui ne manquait pas d'ironiser sur le rôle de femme au foyer parfaite qu'avait pris Liana. Elle fut donc surprise que sa taquinerie soit abordée avec impatience par son interlocuteur ;
« C'est pas où je voulais en venir, laisse-moi finir ! »
Face à l'air interdit de la jeune blonde, Roxas repris avec un sourire léger, amusé ;
« Même si je dois avouer que t'entendre reconnaître que je suis un héros me flatte, ça n'est qu'un fait, tu le sais ? »
Cette raillerie fit naître un petit rire de connivence chez Liana, qui encouragea donc Roxas à poursuivre son récit :
« Ce que je voulais dire, donc, c'est qu'Allana m'a dit qu'apparemment, les louanges que son mari m'a fait n'ont pas eu l'air de ravir ton oncle. 'Paraît qu'il a juste grommelé quelque chose du genre que c'était le moins que je puisse faire vu qu'il m'a accueilli quand je n'avais personne. Pas que je m'attendais à plus de sa part, hein, vu comme il est grognon, et c'est pas comme si je cherchais à tout prix à ce qu'il fasse mon éloge... Mais je maintiens, ton oncle me déteste. »
Cette affirmation fit naître un nouveau rire chez l'adolescente. Liana avait eu cette conversation mille fois avec Roxas, et ils ne tombaient jamais d'accord. Elle lui servait du coup toujours le même argument, bien décidée à le convaincre à l'usure.
« Roxas, c'est ridicule. Pour la centième fois – il est grognon avec tout le monde. Tu n'as jamais rien fait de mal, pourquoi est-ce qu'il te détesterait ? Et si c'était le cas, pourquoi est-ce qu'il te garderait chez lui ?
- Je sais pas, répondit Roxas avec un haussement d'épaule nonchalant. Il veut peut être protéger son image dans la communauté ? »
Un nouveau rire chez Liana, alors qu'elle levait les yeux au ciel.
« Comme s'il se souciait de sa réputation ! Cet ours adresse à peine la parole à ses voisins.
- Je maintiens qu'il nous traite différemment. Je comprends, hein, je suis pas sa famille, s'empressa d'ajouter Roxas. Et je lui suis reconnaissant de m'avoir ouvert sa porte. Mais malgré tout ce que je fais pour ne pas être un poids pour lui, il me déteste. Il doit savoir... »
Le ton de Roxas avait changé, subtilement. La nonchalance avait laissé place à une forme d'inquiétude, un sentiment de mystère. Et pour la première fois, Liana se rendit compte qu'elle n'était pas la seule à avoir des secrets. Se pouvait-il que son meilleur ami, de qui elle pensait tout savoir, lui cachait lui aussi son don ?! Que depuis leur petite enfance, ils partageaient sans le savoir un secret qui les mettaient tous les deux dans l'illégalité ? Une pointe d'excitation dans la voix à l'idée d'avoir enfin quelqu'un avec qui partager ses inquiétudes, Maniel étant trop jeune pour la comprendre, elle s'enquit ;
« Savoir quoi?!
- Il doit savoir que je t'aime. »
Le ton solennel de Roxas fit naître un doute chez Liana, qui répondit pourtant tout naturellement.
« Bien sûr qu'on s'aime, bêta, Maniel, toi et moi, on est une famille.
- Tu ne comprends pas...
- Qu'est ce que tu essaies de me dire, Roxas ? S'agaça la jeune fille alors qu'un sentiment de malaise s'installait rapidement. Tu sais que tu es comme mon frère, tu peux tout me dire. »
La Liana du futur aurait, bien plus tard, tout fait pour ne jamais prononcer ces mots. Elle n'avait alors aucune idée des conséquences qu'auraient ces paroles, pourtant anodines à ses yeux. Roxas se leva soudainement, posant sa tasse sur la table basse non sans brutalité. Blessé, agacé, il fit quelque pas en silence avant de se retourner brusquement vers la jeune femme.
« C'est ça, le problème ! Je ne veux PAS que tu me vois comme un frère, j'suis pas ton frère. Putain, Liana, je t'aime. Je ferais tout pour toi, et ça me tue que tu me vois comme un frère. »
Les mots étaient crachés avec une violence que Liana ne lui reconnaissait pas. Interdite, confuses, les pensées tourbillonnant à cent à l'heure dans sa tête et son cœur battant la chamade, Liana ne sût quoi dire face au regard blessé de Roxas. Un silence suivit cette déclaration, que Liana essayait d'appréhender. Silence lors duquel Roxas se détourna d'elle pour se diriger vers l'entrée. Ce ne fut qu'alors qu'il attrapaît son manteau que Liana ouvrit finalement la bouche, sa voix tremblante lui faisant comprendre qu'elle était toute tremblotante d'émotion :
« Roxas... »
Il se tourna vers elle, brusquement encore. Ses yeux clairs lui lançaient un regard noir de colère. Sa réponse fut sèche, claquante.
« C'est bon, Liana, j'ai compris. Je vais juste prendre l'air. Va te coucher. »
Elle ne put rien dire alors qu'il enfilait son manteau, lui tournant à nouveau le dos. Et ce ne fut que lorsqu'il claqua la porte derrière lui que les premières larmes se mirent à couler, plus fort qu'elle ne s'y attendait. Recroquevillée sur le canapé, à sangloter, sa tasse tiède contre son cœur, elle avait l'impression qu'elle venait de perdre ce qu'elle avait de plus précieux.
3. Maniel
L'excitation était née dans le cœur du petit Maniel alors qu'il avait appris que les Castors passeraient deux heures par jour pendant toute une semaine auprès de la toute fraîche division 64 pour leur apprendre certains rudiments de survie et de rigueur militaire et les inspirer à, plus tard, rejoindre à leur tour cette armée qui faisait la force et la fierté de la nation. C'était normalement une voie qui attirait naturellement les petits scouts, et tout ses petits camarades avaient hâte de rencontrer les soldats qui les protégeaient au quotidien. Le sentiment de Maniel était plus complexe ; à vrai dire, toute autre division que celle-ci aurait probablement généré chez lui une certaine forme de terreur.
Car à dix ans seulement, Maniel portait déjà un lourd un lourd secret sur ses frêles épaules. Maniel avait un don, et il avait appris trop tôt que ce don pouvait le condamner. C'était injuste, il n'avait jamais rien fait pour rechercher ces pouvoirs, il était juste né avec. Sa grande sœur avait bien sûr pris soin de lui apprendre à le dissimuler de tous et avait essayé de lui faire comprendre les conséquences tragiques que la révélation de leur secret pourraient avoir, tout en tentant de préserver au mieux son innocence. Un rôle pour lequel l'adolescente n'était pas prête, des responsabilités sans doute trop lourdes pour une jeune femme qui devait panser ses propres blessures. Heureusement, Maniel était un bon gamin et il s'était efforcé de suivre ses instructions, comme s'il pouvait de ce fait alléger la peine qui semblait l'encombrer depuis le décès de leur parents.
Liana s'efforçait d'enseigner un contrôle rudimentaire de son don à son petit frère, craignant qu'il ne l'utilise par mégarde et révèle de fait sa nature. Mais outre le fait qu'elle même n'ait qu'un contrôle très relatif de ses propres pouvoirs, les occasions pour eux deux de se retrouver seul à seul étaient rares ; entre l'école, la chorale de la commune dans laquelle ils participaient et les différentes activités « proposées » par le gouvernement, le temps libre était chose rare. Oh, Maniel avait bien suggéré à sa sœur de laisser tomber les Castors et de passer plus de temps à explorer ces pouvoirs qui l'effrayaient autant qu'ils le fascinaient. Après tout, aucune des activités auxquelles ils se soumettaient n'étaient obligatoires. Mais Liana avait insisté, il était important qu'ils fassent partie de la communauté et qu'il se fasse plein d'amis parmi les Castors. Alors il avait suivi les conseils de sa grande sœur et, pour être honnête, il se sentait bien parmi les autres gamins du quartier, malgré ce secret qui pesait trop lourd sur ses épaules... Un secret qui pourrait lui coûter la vie si quelqu'un, et surtout un soldat, l'apprenait.
Mais pourquoi alors était-il si excité à l'idée de passer du temps auprès de la division 64, si l'armée représentait un tel danger pour son existence ?
La réponse, c'était une personne. Un soldat. Roxas Jefferson.
Maniel était très jeune au décès de ses parents, et Liana avait à peu près pris un rôle de mère de substitution depuis sa tendre enfance. Quant à Roxas,il avait vécu avec eux un moment, aussi longtemps que le petit garçon s'en souvenait, et Maniel le considérait comme le grand frère qu'il n'avait jamais eu. Roxas l'avait protégé, encouragé, amusé. Il avait pu compter sur lui, inconditionnellement, pour n'importe lequel de ses problèmes d'enfant.
Mais Roxas l'avait abandonné.
C'était arrivé progressivement. L'amorce de son éloignement était sournoise ; bien qu'ils partageaient toujours le même toit, Maniel peinait à trouver un moment auprès de son frère de cœur. Et quand il était physiquement présent et que Maniel lui racontait ses problèmes, il sentait bien que Roxas n'était pas vraiment là. Il avait eu l'impression que c'était sa faute, et il s'était vite mis en tête qu'il avait dû faire quelque chose de mal ; bien sûr, il ne pouvait pas savoir qu'il n'était qu'une victime collatérale de l'implosion du cœur de Roxas, puisque Liana comme Roxas ne parlèrent plus jamais des sentiments du jeune homme envers elle et, évidemment, n'en parlèrent jamais à Maniel, trop jeune pour comprendre de toutes façons.
Malgré l'inéluctabilité de son départ, malgré le fossé qui se creusait entre eux, le véritable abandon choqua Maniel au plus profond de son petit être alors que Roxas quitta l'appartement de leur oncle pour partir vivre à la caserne. Son initiation de soldat pris la majeure partie de son temps et ils ne firent plus que l'apercevoir, rarement, alors qu'il était entraîné à patrouiller ou qu'il se présentait à la chorale, non pour les accompagner au piano mais pour s'assurer que tout s'y passe bien cette fois. Roxas était devenu parfaitement inaccessible, et ça brisait le cœur du petit garçon qui perdait alors – encore – l'une des personnes les plus importantes de sa vie. Et plus que sa propre peine, Maniel sentait aussi que cette distance affectait profondément sa sœur, qui se montrait plus renfermée ; et plus d'un soir, il s'était réveillé alors qu'elle avait quitté le lit qu'ils partageaient pour essayer de cacher ses larmes dans le salon, lovée sur le canapé que Roxas occupait auparavant.
Alors lorsqu'il sût qu'il allait passer quelque temps auprès de la division 64, il était ravi ; il avait perdu le compte des mois depuis la dernière fois qu'il avait pu parler à Roxas. Et Liana et lui même vivait si mal son absence qu'il était inconcevable pour lui que Roxas soit heureux sans eux. Non, quelqu'un devait l'avoir poussé à faire tout ça, ils le retenaient peut-être même contre son gré. Ou peut-être agissait-il ainsi par vengeance ? Peut-être qu'il avait compris que le frère et la sœur lui cachaient quelque chose, quelque chose d'important et, heurté par leur manque de confiance, il avait décidé de leur tourner le dos. En tous cas, Maniel était bien décidé à confronter Roxas et à le pousser à quitter les rangs de l'armée, ou au moins la caserne, et de le faire revenir vivre avec eux. Ce projet, il n'en avait parlé à personne, comme s'il sentait qu'il ferait naître la suspicion ou qu'on tenterait de le convaincre d'y renoncer pour ce qu'il avait d'irréalisable. Était-ce seulement possible de quitter les rangs de l'armée ? Le petit garçon était en tous cas bien décidé à tout faire pour que son grand frère revienne au sens commun et retourne à la maison.
Il lui fallut du temps pour mettre son projet à exécution ; Roxas avait fait tout son possible, toute la semaine durant, pour ne pas se retrouver seul avec Maniel. Blessant un peu plus le cœur du petit garçon, il était évident qu'il ne voulait pas se confronter à lui et à son passé. Mais l'avant-dernier jour, Maniel eu l'occasion qu'il attendait ; ils avaient divisé les Castors et les soldats en groupes de quatre, et le hasard des affectations avait voulu que Roxas et son coéquipier, Ronan, se retrouvent avec Maniel et un de ses meilleurs amis chez les Castors, Josh, seuls dans la forêt aux abords de la montagne. C'était l'occasion parfaite ; alors, tout en gardant le secret sur son projet, Maniel avait comploté avec Josh pour qu'il éloigne Ronan et qu'il se retrouve seul avec Roxas. Le petit garçon savait qu'il avait peu de temps alors, dès que les deux autres furent hors de portée de voix, il n'hésita pas et se jeta sur l'arc et le carquois de flèche que Roxas avait déposé à côté de leur feu de camp et commença à courir pour s'enfoncer dans le bois.
Cette arme n'était pas ordinaire, et Maniel l'avait deviné au soin tout particulier que Roxas semblait lui accorder. Il avait aussi écouté attentivement le colonel qui leur avait fait l'honneur de leur expliquer la longue formation que poursuivaient les soldats et avait été intrigué de ce qu'il avait pu leur expliquer sur cette récompense qu'obtenait certain des plus méritants soldats... Des armes particulières, des armes aux propriétés uniques. Le mot « artefact » n'était pas prononcé, mais Maniel sentait quelque chose d'inexplicable entre son don et l'objet, comme une forme de résonance. On leur avait aussi expliqué que, du fait que ces armes étaient uniques et accordées à l'élite, les soldats qui recevaient l'honneur d'en porter une se devait de les protéger de leur vie. Le plan de Maniel était donc simple ; il emmènerait cet arme chez son oncle pour y attirer Roxas et, aidé de sa grande sœur, le convaincrait là-bas de renoncer à sa carrière militaire, tout en lui révélant le don qu'ils avaient tous les deux pour lui prouver que les magas n'étaient pas les monstres qu'on lui dépeignait.
Le plan échoua.
Maniel était naïf ; comment pouvait-il espérer que ses petites jambes sèment un soldat surentraîné, surtout alors que le petit garçon luttait à se frayer un chemin parmi les branches et les ronces alors que Roxas se déplaçait avec l'aisance de l'homme habitué à cet environnement.
Ce fut alors qu'il rejoint une clairière que Maniel fut surpris de voir Roxas à l'autre bout, le tenant de toute évidence en tenaille. Il voyait dans ses yeux une expression nouvelle. De la colère ? Il ne lui parla pas ; il gronda :
« Maniel. Arrête ton petit jeu, repose mon arme et rentrons au camp. »
La crainte gagna le cœur de Maniel, presque malgré lui, une proie piégée par son prédateur. Il était tenté d'obtempérer ; mais le souvenir de sa sœur prostrée sur le canapé, en larme, le gagna et sa prise sur l'arme se raffermit.
« Roxas, arrête ! S'exclama-t'il, le désespoir dans la voix. Il faut que tu rentres à la maison.
- Que je rentre?! Une inflexion moqueuse s'était glissée dans la voix du jeune homme. Mais Maniel, je suis chez moi, maintenant. Pose donc cette arme, et je te ramène à la caserne, ils te ramèneront chez toi.
- Roxas... Tu lui manques. A Liana. »
Cette remarque parut troubler un instant Roxas, qui s'avança cependant vers Maniel, la main tendue ; Maniel recula aussitôt d'un pas, puis deux, surtout alors qu'il aperçu la dague qui s'était glissée dans la main de Roxas sans qu'il ne sache comment ou quand. Son protecteur était soudain devenu dangereux, et l'instinct lui soufflait de fuir encore.
« Roxas... Je sais que tu nous en veux de te l'avoir caché. Mais si tu rentres, Liana t'expliquera, on voulait pas te blesser. On voulait te protéger. Nous protéger aussi... »
La supplique sembla piquer la curiosité de Roxas, qui s'arrêta puisqu'il était évident que Maniel avait, au moins pour l'instant, décidé d'arrêter sa course.
« De quoi tu parles, Maniel ? Qu'est ce que vous me cachez ?
- Ils mentent, Roxas, ils ont toujours menti. On est pas des monstres. »
L'incompréhension passa sur le visage de Roxas, alors Maniel décida de formuler plus clairement le secret qu'il révélait à son grand frère de cœur.
«On peut faire... on peut faire de la magie, Roxas.»
Le soldat eut d'abord l'air parfaitement incrédule, comme si Maniel venait de lui sortir l'énormité du siècle ; mais cette expression laissa vite la place à une férocité prédatrice qui glaça le petit garçon d'effroi.
Le reste se passa très vite.
Roxas s'élança vers Maniel qui, pris de peur, lâcha l'arc et le carquois qui retombèrent à ses pieds ; par pur réflexe, commandé par sa peur, il activa son don. Avec une rapidité effarante, une racine vient enserrer la taille de Roxas, stoppant net sa course sans qu'il n'y comprenne rien ; et avant que Maniel n'eut le temps de réflechir à s'enfuir, il fut saisit de douleur. Il voulut hurler mais un gargouillis misérable s'échappa de sa gorge, la dague du blond figée dans son cou, alors que Roxas était libéré soudain de son sortilège.
Roxas accouru pour essayer de le sauver, de l'aider, mais c'était trop tard. La dernière chose dont se souvint Maniel, ce furent les yeux embués du blond qui le regardait dans l'incompréhension de ce qu'il venait de se produire et le cri effrayé de son ami Josh.
4. Ronan
Il y avait chez Roxas quelque chose d'inaccessible. Depuis leur rencontre, alors qu'ils faisaient leurs classes ensemble, Ronan s'était pris d'affection pour l'adolescent un peu trop sérieux qu'il était alors. A force d'effort, il avait réussi à se sentir proche de Roxas et un regard extérieur les aurait sans doute jugés amis. Mais bien qu'il sache que le lien qu'il entretenait avec Roxas dépassait la simple camaraderie créée par leur appartenance à la même division, il savait aussi que Roxas restait très secret et ne se livrait pas. Ronan était plutôt populaire au sein de leur groupe, bavard, peut être un peu insolent, il était aussi toujours volontaire et chacun de ses camarades savaient qu'ils pouvaient compter sur lui. Au contraire, on se méfiait de Roxas qui semblait toujours un peu ailleurs.... Jusqu'à l'événement qui marqua clairement un tournant dans la dynamique de la relation entre les deux jeunes hommes.
Roxas avait tué un enfant dont ils avaient la charge, dont ils devaient assurer la sécurité.
Ronan avait d'abord été choqué de retrouver son coéquipier avec ce petit corps sans vie, le sol écarlate de tout le sang que l'enfant avait perdu si vite. Il était arrivé alors que l'action se finissait, trop tard pour pouvoir intervenir ; la dague quittait la main d'un Roxas piégé avant de se ficher dans la gorge du garçon, un tir par ailleurs surprenant d'adresse. Et le hurlement du gosse qui rejoignait Ronan, juste derrière lui, le ramena à la réalité et lui fit pleinement réaliser ce qu'il s'était passé, alors que son camarade se ruait vers le corps de l'enfant. La stupeur et la confusion face à cette scène passée, il compris que le gamin était Maga et qu'il avait agressé Roxas. Roxas n'avait fait que se défendre, protégeant alors son pays d'une menace naissante. Le soldat n'avait fait qu'accomplir son devoir, et c'est ce que rapporta plus tard Ronan lorsque son témoignage fut demandé. Il n'avait pas dans l'idée de protéger Roxas, juste de décrire ce dont il avait été témoin. Dans l'urgence, Roxas avait agit de la manière la plus extrême, mais la finalité, c'était bel et bien qu'il avait éliminé une menace. Et Ronan avait appris ce jour-là que les monstres pouvaient prendre les visages les plus innocents.
Après cet incident, Roxas disparut un moment ; c'était la première fois qu'il tuait pour son pays, la procédure voulait donc qu'il soit placé en isolement pour subir un examen psychologique profond. Car ils avaient beau ne faire que défendre le pays et exécuter les ordres qu'on leur avait donné, tuer n'avait rien d'évident, surtout pour la première fois, et surtout lorsqu'il s'agissait d'un enfant...
Il fallut attendre plusieurs semaines avant que Roxas ne retrouve le reste de son équipe. D'abord totalement renfermé, un changement soudain s'opéra chez lui une dizaine de jours après sa réinsertion. Soudain, Roxas était devenu plus caustique, plus imprudent aussi. Ce magnétisme étrange des personnes à la dérive, qu'il dégageait déjà avant cet événement, s'était amplifié. Roxas afficha dès lors une attitude plus mordante, plus insolente peut-être aussi.
Quelque part, cette nouvelle attitude plaisait à Ronan, elle avait quelque chose d'exaltant. Et en même temps, alors qu'ils partaient ensemble pour une mission de reconnaissance, la première depuis la réinsertion de son camarade, il ne pouvait secouer le mauvais pressentiment qui l'animait. Seul pendant six heures avec Roxas, au cœur de la nuit à surveiller une baraque abandonnée du quartier C, il passa le plus clair de la soirée à tenter de se raisonner : la plupart du temps, ces missions ne donnaient rien. Et après deux heures de calme plat, à attendre dans le froid alors que l'essentiel de la ville s'endormait, Ronan commença à se détendre et essaya plus franchement de pousser Roxas à la confidence, en particulier sur les sentiments qu'il éprouvait suite à sa première exécution. Mais, sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, Roxas évita de lui répondre sincèrement et détourna vite la conversation pour pousser Ronan à parler plutôt de lui, de sa famille et de ses amours. Roxas se permit quelques commentaires piquant et Ronan ne pu s'empêcher de s'en amuser. Les heures défilèrent et leur mission s'approchait de sa fin sans qu'il n'y ait quoi que ce soit à signaler...
Soudain, juste avant l'aube, ils perçurent un mouvement. Une silhouette s'approchait de l'endroit qu'ils surveillaient depuis leur coin de rue. De loin, l'on devinait qu'il s'agissait d'une jeune femme blonde, qui n'avait pas encore vingt ans. Ronan se tourna un quart de seconde vers son sac pour en décrocher les jumelles, dans l'espoir d'identifier leur premier suspect de la soirée....
Il n'eut pas le temps de les porter à son visage. Soudain, Roxas n'était plus à ses côtés ; le jeune homme s'était élancé à la poursuite de la jeune femme, qui avait évidemment commencé à prendre la fuite en voyant le militaire se ruer vers elle.
Un juron s'échappa de la bouche de Ronan alors qu'il attrapa son fusil, qu'il avait laissé à ses pieds pour pouvoir le saisir plus rapidement en cas de besoin. Il connaissait très bien la marche à suivre : il ne fallait jamais qu'ils se retrouvent seuls. S'ils étaient séparés, ils devaient contacter la base et demander des renforts, peu importe la raison de leur séparation.
Oui, il devait contacter la base.
Ronan n'en fit rien et se lança à la poursuite de son camarade et ami, sachant bien que cette désobéissance lui vaudrait un châtiment. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Si leurs suspicions étaient correctes, il craignait pour la vie de Roxas : cette jeune femme, aussi frêle et angélique soit-elle, pouvait être maga. Et s'il appelait des renforts, il n'avait aucune garantie qu'ils arriveraient à temps pour sauver Roxas. Prendre le temps de les appeler, de leur expliquer la situation, c'était prendre le risque de perdre la piste des deux blonds, qui approchaient déjà la lisière du bois. Des deux soldats, Roxas avait toujours été le plus rapide, en plus d'être équipé plus légèrement. Et même si les poursuivre tenait d'un réflexe, qu'il ne réfléchit pas alors qu'il se mit en mouvement, il y avait aussi une forme de curiosité inavouée dans l'action de Ronan : pourquoi diable Roxas avait-il soudain agit de manière aussi impulsive et compromis leur mission ?
La course parut interminable alors que Ronan se frayait tant bien que mal un chemin entre les ronces et les branches. Durant sa course, il se maudit d'avoir suivi sa première impulsion en poursuivant Roxas et la jeune inconnue ; et alors qu'il devenait de plus en plus difficile de retrouver leurs traces, malgré les premières lueurs du jour qui pointaient le bout de leur nez, il regretta de ne pas avoir suivi la procédure, de ne pas avoir appelé des renforts. C'était trop tard, maintenant. Son talkie-walkie était resté dans son sac, dans leur planque abandonnée, comme la plupart de son équipement d'ailleurs. Iil avait été réprimandé avant pour sa tendance à agir avant de réfléchir mais, cette fois, il en craignait vraiment les conséquences...
Un éclat de voix fit ralentir sa course. Il ne pouvait pas encore comprendre ce qu'ils se disaient, mais il devinait qu'ils avaient arrêté leur course et discerna la voix de son ami. De ce qu'il pouvait comprendre, Roxas était toujours seul avec la jeune femme. Ronan décida alors de se rapprocher de leur position aussi furtivement que possible, pour être prêt à agir tout en surprenant la suspecte si jamais Roxas avait besoin de son aide.
Il parvint bientôt à les apercevoir entre la cime des arbres, et c'était une scène surprenante qui s'offrait à lui. Les deux adversaires s'observaient en chien de faïence, comme s'ils n'attendaient qu'un geste de l'autre pour se sauter à la gorge... Mais il y avait quelque chose d'autre dans le regard de la jeune femme, quelque chose d'indescriptible et Ronan, bien que son ami lui faisait dos, sentait bien que Roxas lui adressait le même regard brûlant. Du reste, Ronan était totalement impuissant depuis sa position ; s'il tentait de tirer sur la femme, il courrait le risque de blesser Roxas ou d'alerter la suspecte d'un déplacement malheureux – les deux à la fois, peut-être.
« Tu n'aurais pas dû me suivre. »
La jeune femme avait craché ces mots, pleine d'une haine qui faisait légèrement trembler sa voix. Roxas laissa échapper un ricanement, presque cruel.
« Voyons, Liana... Serait-ce une menace?
- Tu sais très bien ce que c'est. Tu as assassiné Maniel! »
Ronan n'eut pas vraiment besoin d'en entendre plus pour saisir la situation : de toute évidence, la jeune femme – Liana, donc – avait été proche du gamin que Roxas avait exécuté. Il aurait sûrement dû intervenir à cet instant, interrompre cet échange qui n'annonçait rien de bon ; mais c'était plus fort que lui, quelque chose l'empêchait d'agir, fasciné par la scène qui se jouait sous ses yeux et désireux d'en savoir plus sur ce qui liait la jeune femme et son camarade. Elle ne faisait pas partie des listes de suspects qu'on leur avait présentés durant le briefing... Roxas savait-il a l'avance qu'elle pourrait se trouver là-bas ? Retenait-il des informations qui seraient utiles à l'armée ? Et dans quel but, si c'était le cas ?
« Ha, Maniel....
- Je t'interdis de prononcer son nom !, protesta-t-'elle alors que Roxas s'avançait d'un pas vers elle, qui recula de même.
- Un regrettable accident. Mais tu aurais dû savoir que ça allait arriver... C'est de ta faute, Liana, si tu n'as pas sû le protéger. »
Les mots étaient très durs et touchaient clairement une corde très sensible pour Liana. Plus que la colère ou la haine, ce fut alors la tristesse qui domina dans sa voix.
« Alors on en est arrivés là, Roxas ? Tu essaies de me punir, c'est ça ? »
Et la peine de la jeune femme sembla trouver la douleur chez Roxas. Ronan dû tendre l'oreille pour entendre sa réponse, prononcée d'une voix nettement plus basse.
« Liana... Je t'aime trop pour vouloir te punir. »
La déclaration transpirait la sincéité et pourtant, elle ne rencontra que la colère...
« Espèce de crétin ! Si t'étais resté, si tu n'étais pas devenu un monstre... »
Que la colère ? Non, il y avait aussi autre chose, quelque chose de presque désespéré dans ces mots-là...
Ils se heurtèrent au ton cassant de Roxas, qui avait retrouvé son masque moqueur après cet instant de sincérité :
« Quoi, tu aurais voulu construire quelque chose avec moi ? Laisse-moi rire.
- Oui. »
La réponse avait fusée, sincère. Si les circonstances n'avaient pas été contre eux, elle leur aurait donné une chance. Un silence poursuivit cette déclaration d'amour déguisée, Roxas s'approcha d'un pas vers Liana, qui ne recula pas cette fois. Ronan ne pouvait toujours pas voir l'expression qu'affichait son ami, mais sa voix prit une inflexion terrible, quelque part entre la douleur et l'affront.
« Quel dommage que tu sois un monstre toi aussi, et que je doive te tuer. »
Ronan put lire la blessure sur le beau visage de la blonde qui faisait face à son coéquipier, avant que ses traits ne se déforment pour afficher un sourire carnassier qu'il n'aurait jamais imaginé possible sur ces doux traits :
« A moins que je ne te tue avant. »
Soudain, des racines prirent vie et foncèrent droit vers Roxas, le forçant à faire un bon en arrière pour les éviter. Au même moment, Roxas tira une des dagues qu'il portait à sa ceinture. C'était le signe que Ronan attendait : il surgit de sa cachette pour se placer aux côtés de Roxas, le canon de son arme pointé vers la jolie blonde alors qu'il s'écria :
« Halte! »
L'action de figea ; Roxas et Liana ne s'attendaient clairement pas à être interrompus.Quelque part, Ronan en était presque étonné. Roxas avait toujours été si doué pour sentir quand on l'épiait, il avait presque attiré la suspicion sur lui durant leurs classes... Mais au final, Ronan pouvait le comprendre. Il était évident que cette femme face à lui l'avait ébranlé. Ils avaient cependant un devoir à accomplir, alors Ronan prit la parole, profitant de cet instant de flottement dans le conflit ;
« Liana, c'est ça ? Tu es un danger pour la population, et tu viens de t'en prendre à l'un de ses protecteurs. Et pour ça, tu dois être exécutée. »
Les yeux rivés sur Roxas, la jeune femme ne sembla pas prendre conscience de la condamnation à mort que Ronan venait de prononcer. Et alors même qu'il levait la sécurité de son fusil, la voix de la jeune femme s'éleva, presque plaintive ;
« Roxas... »
Un mot. Une voix douce.
La douleur qui paralyse.
Ronan baissa les yeux sur sa poitrine soudain imbibée de sang en même temps qu'il baissa son arme, malgré lui. Sa vision troublée, les force le quittant trop vite à cause de ces coups trop rapides, trop précis. Ronan leva les yeux pour trouver le regard de son frère d'arme, qui venait de le condamner. Il n'y déchiffra aucune expression alors qu'il rendait son dernier souffle.
5. Lt. Collins
L'interrogatoire avait duré des jours.
Lorsque le soldat Jefferson était rentré de mission au petit matin en transportant tant bien que mal le corps sans vie du soldat O Shea sur ses épaules, la caserne était entrée en ébullition. La mission qui était assignée aux jeunes recrues n'était qu'une mission de reconnaissance. Les deux jeunes hommes étaient censés contacter la caserne si le moindre problème survenait, et il n'y avait eu rien à signaler à quatre heure du matin, lors de leur dernière prise de contact. Comment étaient-ils passés d'une nuit sans histoire à la mort d'une recrue prometteuse ?
On retira vite le corps de Ronan des bras d'un Roxas à l'air confus et à qui il manquait la plupart de son équipement. Sans lui laisser le temps de se débarrasser du sang de son camarade qui séchait sur ses mains et sur ses vêtements, on l'entraîna immédiatement en salle d'interrogatoire pour lui demander d'expliquer sa version des faits. Et les faits fusèrent, confus d'abord, avant qu'il ne soit rappelé à l'ordre pour que son rapport soit plus clair.
Les deux jeunes soldats étaient donc en pleine observation lorsque se dessina la silhouette d'une femme au loin. On lui demanda de la décrire, tout ce qu'il pu dire était qu'elle était plutôt menue, semblait assez petite et portait les cheveux longs, châtain clair ou peut être blond, Jefferson n'en était pas vraiment sûr. Il avait été trop loin pour identifier les traits de son visage. Il avait voulu se saisir de ses jumelles pour mieux l'observer, mais c'était sans compter sur l'impulsivité du soldat O Shea, qui lui intima de ne pas bouger avant de s'élancer vers cette femme.
Roxas avait alors hésité sur la marche à suivre, alors même qu'il savait qu'il aurait dû contacter la caserne pour demander des renforts. Mais il avait craint que les renforts n'arrivent pas à temps : alors il était parti à leur poursuite. Il s'était donc enfoncé dans la forêt à leur poursuite, mais les perdit vite de vue. Et à force d'errer dans la direction qu'ils avaient dû prendre, il avait pu retrouver Ronan, poignardé par l'une de ses propres armes. Aucune trace de la femme qu'il avait poursuivit. Ronan était encore vivant lorsque Roxas l'avait trouvé, mais il n'en avait clairement plus pour longtemps. Et Roxas avait fait l'erreur d'avoir laissé sa radio derrière lui, avec le reste de son paquetage. Il décida alors d'essayer de ramener Ronan à la caserne, espérant être assez rapide pour qu'il ne soit pas trop tard...
On plaça le soldat Jefferson en cellule d'isolement à la suite de son témoignage, où il put au moins laver ses mains couvertes de sang à défaut de pouvoir se changer. Le lieutenant Collins, qui avait mené ce premier interrogatoire, consulta alors avec son sous-lieutenant. Il avait la désagréable sensation que Jefferson lui cachait quelque chose. Il avait eu l'air confus, perdu, mais il y avait autre chose dans son regard. Quelque chose d'infiniment plus sombre... Le soldat O Shea avait toujours été une tête brûlée, son sous-lieutenant, qui avait passé plus de temps que lui auprès de la division 64, le confirma. Mais pourquoi diable le soldat Jefferson n'avait-il pas pris quelques minutes pour reporter l'incident à la caserne, pourquoi n'avait-il pas saisit sa radio alors qu'il s'élançait à la poursuite d'O Shea ?
Le sous-lieutenant argumenta en faveur de Jefferson : la fougue de la jeunesse, une inexpérience des missions de terrains, une simple erreur de jugement... Mais quelque chose dérangeait encore le lieutenant Collins, sans qu'il ne puisse définir ce dont il s'agissait. Il décida de garder Jefferson en cellule d'isolement, et refusa qu'on lui amène de quoi se changer. Il envoya une équipe pour fouiller la forêt, à la fois pour observer le lieu du crime mais aussi dans l'espoir de retrouver la femme qui aurait tué son soldat... Si toutefois elle existait.
Son équipe, aidée par les indications données par Roxas lors de son témoignage, retrouva vite la scène du crime : on retrouva au sol des traces de sang et des preuves qu'un ou une maga était passé.e par là. Le lieutenant Collins n'était toujours pas satisfait. On passa le bois au peigne fin, mais c'était évidemment trop tard. Si une jeune femme blonde s'était trouvée là, elle était de toute évidence partie depuis longtemps.
Le lieutenant concentra alors ses efforts sur Jefferson. Des heures après le premier interrogatoire, il le fit sortir de cellule pour le faire à nouveau interrogé, par son sous-lieutenant cette fois. Il espérait qu'un visage plus familier pousserait Jefferson à confesser ce qu'il lui cachait... Sa version ne changea pas d'un iota. La seule différence avec sa première interrogation fut sa conclusion, alors que Jefferson demanda qu'on le laisse prendre une douche et se changer, l'air de trouver insupportable maintenant d'être encore couvert du sang de son camarade. Le sous-lieutenant promis qu'il ferait ce qu'il pourrait et le renvoya dans sa cellule.
Le lieutenant Collins refusa cette requête, pourtant raisonnable. Il ordonna aussi que l'on empêche le soldat de dormir plus de vingt minutes, si d'aventure il cherchait le sommeil. A la quatrième interrogation, plus de vingt-quatre heures plus tard, le soldat Jefferson, après avoir inlassablement délivré sa version des faits, toujours identique, demanda pourquoi on le traitait comme un criminel. Il n'eût pas de réponse alors qu'on l'enferma à nouveau.
Le jour suivant, le lieutenant ordonna qu'on laisse enfin le soldat se laver et qu'on lui donne des vêtements propres avant de l'interroger à nouveau, de lui demander de raconter ce qu'il s'était vraiment passé dans la forêt. Le soldat Jefferson avait l'air hagard, le manque de sommeil commençait à l'atteindre profondément, mais il délivra encore la même version des faits.
Le lieutenant Collins laissa passer le reste de la journée, prêt à conduire un nouvel interrogatoire au petit matin, après une nouvelle nuit sans sommeil réparateur pour le soldat. Cependant, cette soirée-là, il eu l'immense surprise, l'incroyable honneur d'être visité par le colonel Marshall.
Le colonel Marshall était une véritable légende auprès de ses subalternes. Il était connu pour sa poigne de fer et son ambition sans commune mesure, qui lui avait valu d'être l'un des plus jeunes colonels de l'histoire d'Arkan. Certaines mauvaises langues prétendaient qu'il ne devait son ascension qu'à s'être bien marié, presque vingt ans auparavant... Mais le lieutenant Collins n'était pas de ceux-là. Il avait entendu ses prouesses à l'époque de ses classes déjà, et il avait le plus profond respect à l'égard de son colonel. Alors il fût tout bonnement interdit lorsque son modèle lui annonça l'objet de sa visite :
« J'ai entendu dire que vous avez des problèmes avec la division 64, lieutenant... »
Le lieutenant ne s'attendait franchement pas à ce que le colonel Marshall se déplace en personne à cause d'un problème en cours dans la division 64. D'ordinaire, il laissait ses lieutenants s'en occuper, envoyant parfois un subalterne chercher des informations pour les cas les plus préoccupants. Mais la place du lieutenant n'était bien évidemment pas de questionner son supérieur ou de discuter ses décisions ; il lui expliqua alors la situation, ne lui épargnant pas ses doutes concernant le témoignage du soldat Jefferson, bien qu'il soit toujours identique.
Le colonel écouta attentivement son rapport, sembla prendre le temps d'y réfléchir un instant en silence puis s'exprima enfin ;
« Laissez le soldat... Jefferson, c'est ça ? Laissez le soldat Jefferson dormir, ce soir. Je l'interrogerai moi-même demain. »
L'ordre – car c'était un ordre – était prononcé d'un ton sans appel, et le lieutenant se garda bien de le contester. Mais il ne le comprenait pas : depuis quand le colonel Marshall s’intéressait-il aux soldats en bas de l'échelle ?
Le lieutenant Collins ne put assister à l'interrogatoire dirigé par le colonel. Tout ce qu'il su fût que Roxas Jefferson livra encore la même version au colonel, et que le colonel décida à la suite de cette entrevue d'intégrer le soldat à un programme interne réservé à l'élite, qui vouait certains soldats à accompagner des personnalités politiques et commerçants influents hors de l'île, officiellement pour les protéger, en réalité pour les surveiller. Et cette décision, qu'il ne pouvait évidemment ni contester, ni questionner, n'avait pas de sens aux yeux du lieutenant Collins : au minimum, Roxas Jefferson aurait dû être sanctionné pour ne pas avoir respecté la procédure et avoir peut-être en partie causé la mort de son coéquipier : alors pourquoi avait-il l'impression que Jefferson était récompensé ?