Les yeux fixés sur la boisson, Oz contempla pendant quelques longues secondes les dernières touches de mousse de lait qui restaient et qui se noyaient dans le liquide ambré du cappuccino. Le gobelet en plastique, qui portait les couleurs noir et or du café en bord de mer dans lequel il avait été l’acheter, était brûlant, mais il gardait les doigts résolument vissés autour, quitte à grimacer légèrement de temps à autre sous le coup de la douleur. Les avant-bras nonchalamment appuyées sur la balustrade, il restait debout et croisait de temps à autre machinalement les jambes ; il fixa encore un bon moment sa boisson sans réellement la voir, puis releva la tête en plissant quelque peu les yeux. Juste devant lui s’étendait la plage de sable blanc, quasiment déserte hormis un homme et une gamine haute comme trois pommes qui marchaient en se tenant la main, emmitouflés dans de grosses vestes - il fallait dire que le temps n’était pas vraiment propice pour une séance de bronzage ou de baignade. L’hiver avait comme à chaque fois apporté son froid mordant et son vent glacial sur la ville, et cela se sentait encore plus en bord de mer que dans les rues. La mer était sombre, et les vagues certainement tout aussi froides que le vent s’écrasaient sur le sable dans un rythme machinal, le bruit caractéristique de la houle se mêlant aux cris de quelques mouettes courageuses. Au-dessus de la ligne d’horizon, le ciel s’étendait à perte de vue ; clair, il restait néanmoins d’un gris uniforme, nuageux et sans soleil. Un ciel sans couleurs d’hiver, froid mais tranquille. Oz contemplait ce tableau d’un air plus blasé qu’intéressé, bien qu’il ne soit pourtant pas un habitué de la mer ; Koliam se trouvait plutôt près des montagnes, et depuis qu’il était à Sannom, il avait surtout tendance à arpenter bars, boîtes, restaurants et boutiques divers plutôt que le port. Pourtant, aujourd’hui, il était venu ici. Sans raison précise, à vrai dire. Juste pour se balader, pour sortir, pour passer le temps.
Il avait dix-huit ans, maintenant. Son anniversaire était passé depuis deux semaines à peine, en fait, peut-être un peu plus. Le 31 décembre. C’est fou ce qu’il pouvait haïr cette date, vraiment. Rien que d’y repenser maintenant, il fronçait les sourcils en baissant à nouveau les yeux sur le gobelet fumant qu’il tenait dans une main. Il ne l’aimait pas, cette date, non, et il aurait préféré l’oublier à jamais, mais il savait que rien n’y ferait. Alors il évitait juste d’y penser trop souvent. Il essayait d’oublier, tout en sachant pertinemment qu’il ne pourrait pas. Et il passait à autre chose. Un instant, il se concentra sur le bruit environnant. Dans son dos, les boutiques, les cafés et les restaurants de l’allée chic du port résonnaient du brouhaha des conversations, des incessants bruits de pas sur les pavés, des portes que l’on ouvrait ou que l’on fermait, des couverts et des tasses que l’on posait sur les tables. Le froid n’empêchait pas les gens de sortir ou de faire leurs emplettes, visiblement. Une agréable effluve de café chaud se mêlait à l’air marin, et Oz se demanda vaguement quelle heure il pouvait bien être. Fin d’après-midi, probablement. Il s’en fichait un peu, à vrai dire, car peu lui importait ; aucun engagement ne le contraignait à quoi que ce soit, c’était ça l’avantage. Il leva la main qu’il avait de libre pour la passer machinalement dans sa nuque, comme s’il voulait s’étirer, et attendit un instant avant de l’abaisser pour reposer son avant-bras sur la balustrade. Il leva ensuite son gobelet chaud, pour avaler une ou deux gorgées agréablement brûlantes de cappuccino, et son regard émeraude se perdit un instant quelque part sur la ligne d’horizon, entre mer et ciel. Le vent glacial mordait la peau de son visage et balayait ses cheveux d’ébène, mais là encore, il n’en avait pas grand-chose à faire. Il portait un jeans sombre, évidemment de marque, avec quelques chaînes en guise de ceinture, comme toujours, et le caban noir d’une élégance certaine qu’il portait au-dessus de sa chemise lui seyait à merveille, mais ne lui tenait pas vraiment chaud - c’était ça, le soucis du vêtement : on devait toujours trancher entre beauté ou utilité. Et comme on pouvait s’en douter, Oswald Roland se souciait bien plus de l’apparence d’un vêtement que de son utilité, bien évidemment.
Il écarta d’un geste une mèche de cheveux gênante qui venait lui cingler le visage, et avala une nouvelle gorgée de cappuccino en se demandant ce qu’il pourrait bien faire, maintenant. Il avait passé l’après-midi à déambuler en ville, dans les boutiques surtout, mais la foule avait naturellement fini par le gonfler et il avait choisi de jeter son dévolu sur un endroit un peu moins fréquenté, un peu plus aéré. Le port, donc. Ou plutôt l’allée bordée de boutiques chics en bord de mer, évidemment, pas du côté des entrepôts. Il aurait pu rentrer à l’auberge, aussi. Mais bizarrement, ou pas si bizarrement que ça, il s’y sentait moins à l’aise depuis que Sila avait débarqué, il y avait de ça maintenant quelques semaines, pas beaucoup. C’était comme si à chaque fois qu’il la voyait, son passé lui sautait brutalement à la figure. Il voulait juste oublier, il voulait juste qu’on lui foute la paix, bordel. Mais visiblement, c’était trop demander. Il n’était plus aussi tranquille, donc, et il ne pouvait décemment pas faire comme si la situation lui allait très bien : on l’avait forcé à capituler, putain ! D’accord, d’accord, il avait dit à Sila qu’elle pouvait rester, ok, mais il n’empêche qu’il était contrarié. Terriblement contrarié. Et donc, quand il n’était pas occupé à être particulièrement horripilant et terriblement exaspérant, il délaissait l’auberge pour sortir et déambuler, errer sans but. Comme aujourd’hui. Il avait beau avoir visité un bon nombre de boutiques, il n’avait rien acheté - rien ne l’intéressait. A part ce cappuccino, histoire de se réchauffer et de se désaltérer en même temps. Et maintenant campé face à la plage, face à la mer, il se laissait naturellement aller à quelques pensées. Il se disait qu’il faisait particulièrement froid, cet hiver. Il se disait que ce cappuccino n’était pas mauvais. Il se demandait s’il n’avait pas oublié un collier dans la chambre de Vasco. Il songeait au 31 décembre. Il se demandait avec qui il allait dormir ce soir : dans sa chambre avec cette enquiquineuse de Sila, ou avec ce chieur de Vasco histoire d’emmerder l’enquiquineuse et de profiter l’air de rien de quelques câlins ? Il avait envie d’acheter une nouvelle veste. Et une nouvelle paire de soleil, même si ce n’était pas la saison. Il pensait à avant. Et il songeait à maintenant. Il se demandait ce qu’il pourrait bien foutre de sa vie, en tant que gosse de riche minable sans aucune ambition. Il se disait que tout cela était lassant. Et agaçant. Contrariant, fatiguant, déprimant. Et il se demandait pourquoi il n’avait rien de mieux à foutre que penser connement.
Nouvelle gorgée de cappuccino. Tourner la tête du côté, et flinguer un passant des yeux pour avoir osé passer trop près de lui - soit à trois mètres. Puis dévier à nouveau le regard vers la mer, levant furtivement et mécaniquement les yeux au ciel d’un air agacé. Il avait fait un effort, aujourd’hui. Il ne s’était pas pris la tête avec trop de monde ; il y avait juste eu ce type dans la boutique de fringues de marque, qui lui avait effleuré le bras soi-disant sans faire exprès, et cette tête à claques de serveur qui avait fait un sourire en coin insultant en lui servant ce cappuccino. Non, vraiment, il avait fait un effort. Il pouvait être fier de lui. Sauf que non, en fait. Putain, ce qu’il pouvait se faire chier, décidément. A l’instant même où il se faisait la réflexion, des bruits de pas lui indiquèrent qu’on venait de pénétrer dans son espace vital, soit toute la zone autour de lui dans un rayon de cinq mètres au moins. Quelque soit l’intrus, il était inconscient et suicidaire. Oz tourna à peine la tête, juste assez pour pouvoir jeter une œillade haineuse au nouveau venu. Et il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour le reconnaître ; cette haute silhouette, ce visage qu’il connaissait bien, ces cheveux dorés, ce bandeau noir, cet œil unique d’un bleu bien plus éclatant que celui de la mer, tout lui était familier depuis longtemps maintenant. Vasco était sacrément doué. Pour débarquer à l’instant même où il se disait s’emmerder, s‘entend. Pour un peu, Oz en aurait même esquissé un sourire. Sauf que non, il ne fallait pas qu’il ait l’air heureux de voir le musicien débarquer, vous pensez bien. Il se contenta donc d’hausser légèrement un sourcil, en le jaugeant d’un regard rapide et blasé, puis tourna à nouveau la tête vers les eaux froides de la mer, sans enlever ses avant-bras de la balustrade qui séparait l’allée marchande de la plage. Là, avant de porter le gobelet encore chaud à sa bouche, il laissa échapper quelques mots du bout des lèvres, d’un air éternellement blasé et ennuyé.
- Tu me caches le soleil.
Ce qui était une manière typiquement ozienne comme une autre de dire bonjour, certainement. Car effectivement, il n’y avait pas un seul rayon de soleil dans le ciel. C’est juste qu’il ne pouvait pas se comporter normalement envers Vasco Fair - au lieu d’agir comme le meilleur ami lambda qu‘il serait certainement s‘il était normal, il frappait, insultait, blessait et snobait une personne qui, finalement, comptait bien plus qu‘énormément à ses yeux. Juste parce qu’il était Oz. Et qu’il avait sa manière bien à lui de gérer les relations humaines, en allergique des sentiments qu’il était.
Il avait dix-huit ans, maintenant. Son anniversaire était passé depuis deux semaines à peine, en fait, peut-être un peu plus. Le 31 décembre. C’est fou ce qu’il pouvait haïr cette date, vraiment. Rien que d’y repenser maintenant, il fronçait les sourcils en baissant à nouveau les yeux sur le gobelet fumant qu’il tenait dans une main. Il ne l’aimait pas, cette date, non, et il aurait préféré l’oublier à jamais, mais il savait que rien n’y ferait. Alors il évitait juste d’y penser trop souvent. Il essayait d’oublier, tout en sachant pertinemment qu’il ne pourrait pas. Et il passait à autre chose. Un instant, il se concentra sur le bruit environnant. Dans son dos, les boutiques, les cafés et les restaurants de l’allée chic du port résonnaient du brouhaha des conversations, des incessants bruits de pas sur les pavés, des portes que l’on ouvrait ou que l’on fermait, des couverts et des tasses que l’on posait sur les tables. Le froid n’empêchait pas les gens de sortir ou de faire leurs emplettes, visiblement. Une agréable effluve de café chaud se mêlait à l’air marin, et Oz se demanda vaguement quelle heure il pouvait bien être. Fin d’après-midi, probablement. Il s’en fichait un peu, à vrai dire, car peu lui importait ; aucun engagement ne le contraignait à quoi que ce soit, c’était ça l’avantage. Il leva la main qu’il avait de libre pour la passer machinalement dans sa nuque, comme s’il voulait s’étirer, et attendit un instant avant de l’abaisser pour reposer son avant-bras sur la balustrade. Il leva ensuite son gobelet chaud, pour avaler une ou deux gorgées agréablement brûlantes de cappuccino, et son regard émeraude se perdit un instant quelque part sur la ligne d’horizon, entre mer et ciel. Le vent glacial mordait la peau de son visage et balayait ses cheveux d’ébène, mais là encore, il n’en avait pas grand-chose à faire. Il portait un jeans sombre, évidemment de marque, avec quelques chaînes en guise de ceinture, comme toujours, et le caban noir d’une élégance certaine qu’il portait au-dessus de sa chemise lui seyait à merveille, mais ne lui tenait pas vraiment chaud - c’était ça, le soucis du vêtement : on devait toujours trancher entre beauté ou utilité. Et comme on pouvait s’en douter, Oswald Roland se souciait bien plus de l’apparence d’un vêtement que de son utilité, bien évidemment.
Il écarta d’un geste une mèche de cheveux gênante qui venait lui cingler le visage, et avala une nouvelle gorgée de cappuccino en se demandant ce qu’il pourrait bien faire, maintenant. Il avait passé l’après-midi à déambuler en ville, dans les boutiques surtout, mais la foule avait naturellement fini par le gonfler et il avait choisi de jeter son dévolu sur un endroit un peu moins fréquenté, un peu plus aéré. Le port, donc. Ou plutôt l’allée bordée de boutiques chics en bord de mer, évidemment, pas du côté des entrepôts. Il aurait pu rentrer à l’auberge, aussi. Mais bizarrement, ou pas si bizarrement que ça, il s’y sentait moins à l’aise depuis que Sila avait débarqué, il y avait de ça maintenant quelques semaines, pas beaucoup. C’était comme si à chaque fois qu’il la voyait, son passé lui sautait brutalement à la figure. Il voulait juste oublier, il voulait juste qu’on lui foute la paix, bordel. Mais visiblement, c’était trop demander. Il n’était plus aussi tranquille, donc, et il ne pouvait décemment pas faire comme si la situation lui allait très bien : on l’avait forcé à capituler, putain ! D’accord, d’accord, il avait dit à Sila qu’elle pouvait rester, ok, mais il n’empêche qu’il était contrarié. Terriblement contrarié. Et donc, quand il n’était pas occupé à être particulièrement horripilant et terriblement exaspérant, il délaissait l’auberge pour sortir et déambuler, errer sans but. Comme aujourd’hui. Il avait beau avoir visité un bon nombre de boutiques, il n’avait rien acheté - rien ne l’intéressait. A part ce cappuccino, histoire de se réchauffer et de se désaltérer en même temps. Et maintenant campé face à la plage, face à la mer, il se laissait naturellement aller à quelques pensées. Il se disait qu’il faisait particulièrement froid, cet hiver. Il se disait que ce cappuccino n’était pas mauvais. Il se demandait s’il n’avait pas oublié un collier dans la chambre de Vasco. Il songeait au 31 décembre. Il se demandait avec qui il allait dormir ce soir : dans sa chambre avec cette enquiquineuse de Sila, ou avec ce chieur de Vasco histoire d’emmerder l’enquiquineuse et de profiter l’air de rien de quelques câlins ? Il avait envie d’acheter une nouvelle veste. Et une nouvelle paire de soleil, même si ce n’était pas la saison. Il pensait à avant. Et il songeait à maintenant. Il se demandait ce qu’il pourrait bien foutre de sa vie, en tant que gosse de riche minable sans aucune ambition. Il se disait que tout cela était lassant. Et agaçant. Contrariant, fatiguant, déprimant. Et il se demandait pourquoi il n’avait rien de mieux à foutre que penser connement.
Nouvelle gorgée de cappuccino. Tourner la tête du côté, et flinguer un passant des yeux pour avoir osé passer trop près de lui - soit à trois mètres. Puis dévier à nouveau le regard vers la mer, levant furtivement et mécaniquement les yeux au ciel d’un air agacé. Il avait fait un effort, aujourd’hui. Il ne s’était pas pris la tête avec trop de monde ; il y avait juste eu ce type dans la boutique de fringues de marque, qui lui avait effleuré le bras soi-disant sans faire exprès, et cette tête à claques de serveur qui avait fait un sourire en coin insultant en lui servant ce cappuccino. Non, vraiment, il avait fait un effort. Il pouvait être fier de lui. Sauf que non, en fait. Putain, ce qu’il pouvait se faire chier, décidément. A l’instant même où il se faisait la réflexion, des bruits de pas lui indiquèrent qu’on venait de pénétrer dans son espace vital, soit toute la zone autour de lui dans un rayon de cinq mètres au moins. Quelque soit l’intrus, il était inconscient et suicidaire. Oz tourna à peine la tête, juste assez pour pouvoir jeter une œillade haineuse au nouveau venu. Et il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour le reconnaître ; cette haute silhouette, ce visage qu’il connaissait bien, ces cheveux dorés, ce bandeau noir, cet œil unique d’un bleu bien plus éclatant que celui de la mer, tout lui était familier depuis longtemps maintenant. Vasco était sacrément doué. Pour débarquer à l’instant même où il se disait s’emmerder, s‘entend. Pour un peu, Oz en aurait même esquissé un sourire. Sauf que non, il ne fallait pas qu’il ait l’air heureux de voir le musicien débarquer, vous pensez bien. Il se contenta donc d’hausser légèrement un sourcil, en le jaugeant d’un regard rapide et blasé, puis tourna à nouveau la tête vers les eaux froides de la mer, sans enlever ses avant-bras de la balustrade qui séparait l’allée marchande de la plage. Là, avant de porter le gobelet encore chaud à sa bouche, il laissa échapper quelques mots du bout des lèvres, d’un air éternellement blasé et ennuyé.
- Tu me caches le soleil.
Ce qui était une manière typiquement ozienne comme une autre de dire bonjour, certainement. Car effectivement, il n’y avait pas un seul rayon de soleil dans le ciel. C’est juste qu’il ne pouvait pas se comporter normalement envers Vasco Fair - au lieu d’agir comme le meilleur ami lambda qu‘il serait certainement s‘il était normal, il frappait, insultait, blessait et snobait une personne qui, finalement, comptait bien plus qu‘énormément à ses yeux. Juste parce qu’il était Oz. Et qu’il avait sa manière bien à lui de gérer les relations humaines, en allergique des sentiments qu’il était.
Dernière édition par Oswald Roland le Sam 23 Juil 2011 - 17:58, édité 1 fois