Esther laissa échapper un sifflement admiratif en arrivant sur la place dallée de marbre, et de la buée jaillit d'entre ses lèvres. Il faisait vraiment froid, mais la jeune femme oublia la température, le gel, et les centaines de kilomètres qu'elle avait dans les jambes à la vue de Sannom, qui se dressait enfin devant ses yeux, derrière la place. La capitale de Gamaëlia. Elle y était.
La fin du jour projetait un soleil rouge qui se reflétait sur le marbre rosé. La nuit qui approchait, le froid avaient guidés les pas des passants à les porter chez eux. La place était presque déserte, et personne ne vînt accueillir l'inconnue accompagnée de son jeune cerf.
Émue par la majesté du lieu, Esther fit quelques pas, et les frêles sabots pointus de son familier résonnèrent sur le marbre. Elle avança avec précaution pour ne pas glisser sur les minuscules cristaux qui commençaient à se former sous ses pieds, et s'assit sur le rebord de la grande fontaine du centre de la place. Elle était arrêtée, sans doute pour la nuit.
La petite femme resserra autour d'elle son long manteau noir et se frotta les mains l'une contre l'autre, avant de poser la gauche sur l'échine du daguet. Mim frémit à la fraîcheur de sa paume mais ne broncha pas.
~ Et maintenant ? ~
~ Je ne sais pas... ~
Silence. Esther était terriblement attirée par les terrasses des cafés qui longeaient la place, et qui semblaient chauffées... mais, ne connaissant rien des us et coutumes des autochtones, elle n'osait s'y installer accompagnée de son familier. Mim suivit son regard et devina ce à quoi elle pensait. Il aurait pu aller chercher un coin de nature et la laisser seule le temps qu'elle se réchauffe et réfléchisse à sa nuit, mais il ne la sentait pas en sécurité, et préférait rester près d'elle. Il contempla un moment la femme à qui il était lié. Ses cheveux roux en bataille, ses joues rosies par le froid mordant, ce froid qui teintait ses lèvres à la couleur de ses grands yeux violets... Elle était adorable et il en était fier. Fier d'elle et fier de veiller sur elle.
Esther sentit le contentement de son cerf et, croisant ses grands yeux de biche, elle sourit, touchée. Même si elle devait passer la nuit à attendre le jour sur le rebord glacé de cette fontaine, elle ne serait pas malheureuse, Mim à ses côtés. Les petites tâches blanches sur les flancs et le dos du daguet se reflèteraient dans le noir, comme des lucioles autour d'elle.
Mais il valait mieux trouver une auberge. A cette pensée, la jeune femme sentit se répandre insidieusement dans son petit corps un engourdissement démesuré. Elle avait marché presque tous les jours depuis plusieurs mois pour arriver ici. Il était juste qu'elle eût un peu de repos, ce soir. Elle n'avait qu'à attendre que quelqu'un passe pour lui demander la direction de l'auberge la plus proche. Oui, elle allait faire ça.
Son regard caressa la place, alerte. Personne. Soupir.
En attendant, elle sortit d'une besace une blague en cuir. Elle prit un mince filet de tabac vert entre ses doigts glacés, et entreprit de rouler une fine cigarette. La nuit approchait à grands pas. Elle craqua une allumette, et réalisa qu'une silhouette passait, à quelques pas de la fontaine, et ne l'avait visiblement pas vue. Esther se leva d'un bond.
- Ohé !
Son interpellation, accompagnée d'un geste, résonna sur le marbre, et la silhouette sursauta. Esther ramassa son sac, glissa sa cigarette entre ses lèvres et s'approcha.
- S'il vous plaît ?
Elle attendait de cette silhouette qu'elle s'arrête. Esther avait passé trop de temps loin des autres, des humains. Elle avait besoin d'un contact humain. Ce soir, elle avait terriblement envie d'entendre une voix, de regarder, d'écouter quelqu'un. Elle attendait de cette silhouette qu'elle s'arrête, se retourne... Mais la personne interpellée continua sa route, en accélérant le pas, comme en fuite de quelque chose.
Décontenancée, déçue, la jeune femme hésita : devait-elle la suivre ? Finalement, elle revînt sur ses pas, retrouver le rebord de la fontaine. Elle ne l'avait pas quitté plus de quelques secondes, mais il lui semblait s'être glacé. Elle s'assit en silence. Mim sentit la tristesse envahir Esther, et donna un coup de son nez chaud sur la main de la jeune femme. Son regard se voulait rassurant. Quelqu'un viendrait.
Éreintée par la fatigue, la jeune femme serra plus fort contre elle son manteau, appuya son dos contre le rebord de la fontaine, et ferma les yeux, pour ne pas laisser couler de larmes qui dessineraient des sillons glacés sur ses joues. Mim sauta sur la pierre, plia ses jambes sous lui et posa sa tête fine sur les genoux d'Esther. Lui-même ferma ses yeux aux longs cils, mais restait en alerte.
Les deux vagabonds fatigués patienteraient, le temps qu'arrive quelqu'un.
Dernière édition par Esther Açarre le Ven 24 Déc 2010 - 14:15, édité 1 fois