Déliquescence
Contexte : Moscou, 2156.
Ils ont pris le pouvoir il y a longtemps. Presque une cinquantaine d’années maintenant. Ils sont à la fois l’égérie d’un monde de corruption futuriste, et de la monarchie absolue si fébrilement abolie, des siècles auparavant. Ils sont le symbole mafieux du centre noir d’une hiérarchie cruelle, décadente, se vautrant dans le vice, encourageant la débauche, adorant la puissance. Ils sont le sommet de la chaîne alimentaire humaine, le paroxysme, l’apogée de notre race, race qu’ils exterminent s’ils le veulent. Ils prolifèrent, s’étendent, contrôlent.
Et le centre de ce pouvoir tentaculaire est Moscou. Le QG de la dictature est encerclé par les rêves d’une capitale polaire, aujourd’hui disparue dans la pénombre des pactes criminels et des délits majeurs. Ils ont souillés le monde et foulé au pied la nature humaine pour faire de cette planète qu’ils dominent, une terre dévastée par la corruption. Ils sont les Autocrates. Et nous sommes, tous, sans savoir jamais pourquoi, à leur merci. Nous sommes les esclaves du meurtre, de la drogue, du sexe, et les opposants sont traqués. Tués. Oubliés sur l’Olympe de la déliquescence.
Il n’y a pas de querelles ouvertes, de clans belligérants ici, pas d’annonce officielle guerrière, pas de combat revendiqué, lui qui pourtant fait rage dans les entrailles de la ville, sous le couvert des doubles-jeu. Tout ici est devenu faux-semblant et prise de parti, chacun possède la quête qu’il désire, chacun sait quel chemin prendre. Les Autocrates, ces hommes et ces femmes surhumains aux pouvoirs surnaturels tenus secrets, règnent sur le monde entier et engrangent d’énormes trafics de drogue, d’alcool, de femmes et de plaisir, se faufilant à force de stratagèmes, agissant sur les souterrains infernaux des péchés, monnayant les désirs bassement humains. Ils recherchent et font tuer le peu d’ennemis affichés qu’ils découvrent et savourent leur toute-puissance entre deux actes criminels, exorbitants. Leurs courtisans les assistent, survivent et engendrent le vice, vivent de menus larcins et de fidélité, combattant pour leurs despotes avec motivation, poursuivant lesdits trafics jusqu’à la destination sublimement pécuniaire qu’ils offrent.
Face à eux, les rebelles, population grandissante à l’impact relatif, combattant la tyrannie mécanique sévissant sur le monde, sur Londres, en secret et sans afficher leurs oppositions au grand jour pour mieux découvrir les mystères des Autocrates et renverser le régime. Dans leurs rangs, les hommes ordinaires aux idées forcenées, et les armes secrètes de l’organisation : des bâtards des Autocrates, désormais adultes, ayant hérités de dons surnaturels pouvant contrer ceux de leurs géniteurs, sans que ceux-ci le sachent. Les choses changent. Ces bâtards sont de plus en plus nombreux. Les rebelles prennent de l’ampleur, leurs plans se tonifient, leurs actes perdurent, au creux des faux-semblants, des mensonges et de l’hypocrisie.
Il n’y a pas de neutralité possible. La population est emportée dans ce Nirvana satanique, dans ce centre de plaisirs vicieux et bilieux, dans cet organe interne de pure dépravation. Les seules personnes pouvant prétendre à une extériorité, à un refus de ce conflit, sont les Belles-de-Nuit, ces prostituées rusées et groupées en une immense population sous les ordres de La Maquerelle, tantôt payées par les Autocrates, tantôt employées par les Rebelles, et combattantes de l’ombre. Elles choisissent le clan qui leur plait, ou seulement de survivre sans avis : elles ont le privilège magnifique de se taire et d’exister sans faire de choix. Mais si elles viennent à trahir, si elles viennent à sévir, alors Moscou verra la guerre grandir en ses murs.
Non, pas d’attaque. Pas de combats, ici. Tout n’est que plaisir, tout n’est que richesse. La révolte est chuchotée. Elle n’est qu’un murmure oublié dans les cris de joie. Il n’y a plus qu’à attendre qu’elle s’ébruite.
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