Un geste timide, une voix tremblante et anxieuse... Liven tourna lentement son regard déstabilisant vers le jeune homme qui répondait à sa question. Qu'avait-il fait exactement pour obtenir ce genre de réaction ? Tassé sur sa chaise, le premier sacrifié se tenait ramassé sur lui-même tandis que son regard courageusement vrillé à celui de son professeur, tachait désespérément de renforcer l'assurance d'une voie faible et tendue. Qu'était-ce que cela ? Entre peur et inquiétude, effacement et hésitation, faux semblant et dissimulation, il relevait de son mieux le défi. Difficile de déterminer en revanche s'il en avait conscience ou s'il agissait par mécanisme. Ce même mécanisme qui le poussait à fournir une réponse à mi-chemin entre la justesse et le contre-sens, la banalité et la pertinence. De toute évidence, il n'avait pas plus confiance en ses paroles qu'il n'en avait en lui-même. Une sévère carence dans cette matière où il fallait prendre vite connaissance de ses limites et de ses capacités pour ne pas perdre ses objectifs de vue. A vrai dire, Liven avait bien peur que cette critique puisse être formulée à la majorité de la classe. S'ils n'avaient pas les moyens de s'affirmer, ils risquaient de ne pas être capables de suivre son enseignement. Néanmoins, ces observations, pour distrayantes qu'elles furent, ne répondaient pas à ses principales interrogations.
Un regard suffisait-il à semer le trouble parmi ses précieux et adorables élèves ? Une parole un peu sèche pouvait-elle vraiment les désarçonner à ce point ? Même ce détestable personnage qui avait la prétention de se dire journaliste observait un silence qui témoignait d'une réserve inhabituelle, d'un malaise puéril. Quelle déception ! Autant de simplicité dans ce domaine le privait de l'espoir comme de la joie de découvrir un élève qu'il aurait pu considérer comme digne de lui. Allait-il vraiment leur enseigner toutes les subtilités d'une matière dont ils ne pourraient réellement appréhender l'utilité que s'ils en avaient connu la nécessité ? Pour lui... Pour lui la question ne s'était jamais posée. Avant même de mettre un pied dans cette Académie il avait fait l'expérience de ce que nécessitait une situation de vie ou de mort. Il avait eu conscience bien trop tôt de ses enjeux, de ses limites, de ses conséquences. Des conséquences souvent ô combien douloureuses... Combien de ceux qui se trouvaient face à lui aujourd'hui connaîtraient ce genre de chose ? Remords... il espérait qu'aucun d'entre eux ne le sache jamais. Comme le familier du jeune homme qui s'était exprimé l'avait remarqué, Liven n'avait rien laissé transparaître de ses pensées et de ses émotions. Même son orgueil et sa déception étaient restés soigneusement dissimulés sous l'apparente sérénité glaciale de son visage.
- Je ne suis pas tout à fait d'accord, en particulier sur le dernier point. Cependant, il y a tout de même de bons éléments de réponse.
Avec une décontraction qui tranchait par rapport au tassement de l'élève sur son bureau, Liven se leva, jetant un bref coup d'œil au tableau pour y afficher un schéma sommaire qui appuyait ses explications.
- La magie de combat nourrit en effet des objectifs clairement déterminés qui se résument à deux verbes : protéger et vaincre. Comme dans tout combat, cette discipline à pour but la défense de l'intégrité du magas lui-même mais aussi par extension de ses valeurs ou de son pays. Entre parenthèses, 90% des magas doués pour cette discipline intègrent à leur sortie de l'Académie une des guildes combattantes avec lesquelles le gouvernement possède un pacte pour obtenir leur soutient militaire si une guerre venait à se déclarer. D'une façon plus générale, la magie de combat est sollicitée en réponse à une agression et pour défendre sa vie. Très réglementée, son utilisation n'est requise que lors des duels légaux, sur lesquels nous auront l'occasion de revenir, les guerres à la condition d'un enrôlement militaire, dans le cadre d'une guilde dite combattante, ou dans une optique d'autodéfense.
S'appuyant sur son bureau en se penchant vers la classe, il scruta les innocentes victimes qui lui étaient données en pâture avant de se réserver le plaisir d'une énième mise en garde.
- En d'autres termes, j'espère ne jamais vous trouver à organiser des duels clandestins.
Inutile d'énoncer la menace, elle était clairement sous-entendue...
**Liven... La jeune fille au troisième rang.**
Le jeune homme se redressa pour focaliser son attention sur l'élève qui alarmait son familier. Élancée, de longs cheveux noirs et de grands yeux bleus auxquels perlaient des larmes, le souffle court, elle se leva avec peine en prenant appuie sur son bureau.
- Que se passe-t-il ?
Un nuage d'inquiétude passa sur le visage du tout jeune professeur tandis qu'elle s'avançait vers son bureau alors que lui-même le contournait et descendait la marche de l'estrade.
- Monsieur, puis-je...
Sa phrase inachevée, Liven remarqua le tremblement involontaire de ses jambes, le papillonnement caractéristiques des paupières : signes précurseurs d'une perte de connaissance imminente. Les choses se passèrent alors très vite. Par réflexe, Liven avait vivement tendu le bras, parvenant à saisir son poignet avant qu'elle ne tombe tout à fait mais sa prise était insuffisante pour ralentir significativement sa chute. Une mission dont il avait naturellement laisser l'exécution à un sortilège malheureusement trop brouillon compte tenu de son temps d'exécution mais qui lui empêchait malgré tout de heurter trop brutalement le carrelage. L'essentiel avait été d'éviter à sa tête d'accuser un choc violent. Voilà que ça s'évanouissait en plein cours maintenant ! Comme s'il n'avait pas suffisamment d'ennuis à gérer !
**Tu te plaindras plus tard !**
La genette s'était approchée du visage de la jeune fille, surveillant la régularité de sa respiration tandis que Liven, agenouillé à ses côtés, tâtait un pouls anormalement élevé. Cependant, avant même de pouvoir réagir en conséquence, un élève l'avait rejoint, redressant sa tête sur ses genoux et essayant de la réveiller. Agacé, Liven lui saisit le poignet pour le pousser à arrêter.
- C'est inutile, elle ne se réveillera pas tant que son métabolisme ne se sera pas remis.
- Monsieur je peux la porter jusqu'à l'infirmerie?!
**Il leur arrive de réfléchir parfois où ils ne savent que brûler les étapes ?**
**Tu es dur, il est simplement inquiet.**
**Raison pour laquelle je ne l'ai pas encore remis à sa place.**
**Tu voulais dire « renvoyer » à sa place, non ?**
Ignorant tout à la fois son élève et son familier, Liven continua à observer brièvement l'état de la jeune fille. Il n'avait jamais été très doué en soin mais il préférait éviter de se montrer imprudent en la réveillant de force où en la déplaçant trop brusquement. De toute façon, il n'y avait pas besoin d'avoir des connaissances expertes en médecine pour savoir que sa tension avait brutalement chutée et qu'elle avait de la fièvre. Ce genre d'évanouissement pouvait avoir de multiples causes et, puisqu'il s'agissait d'une adolescente visiblement soucieuse de son apparence, on pouvait en premier lieu soupçonner le saut d'un petit déjeuner ou même du repas qui joint à la chaleur ambiante, l'avait affaiblie plus qu'elle-même ne s'y serrait attendue. Néanmoins, aussi plausible qu'elle fut, cette hypothèse restait invérifiable puisque Liven n'était pas capable d'utiliser la magie pour s'en assurer sans craindre d'aggraver son état. Au moins, il savait qu'il n'y avait pas besoin de s'inquiéter outre mesure.
- Ce n'est pas bien grave mais je serais en effet plus tranquille de l'emmener à l'infirmerie, ne serait-ce que pour qu'elle se repose.
Il marqua une pause, envisageant comment gérer les autres élèves. Heureusement, en prévision des divers accidents qui pouvaient arrivés lors de ce genre de cours, l'infirmerie se trouvait seulement à dix mètres de l'autre côté du couloir. Ce n'était rien d'insurmontable... Sans quitter son expression de calme inquiétude, il ne prit même pas la peine de surveiller la création qu'il venait d'invoquer du bout des lèvres et qui se matérialisa à ses côtés comme s'il n'y avait rien de plus naturel. Précautionneusement, il poussa la jeune fille de côté pour glisser sous son corps la civière qu'il venait de faire apparaître. Maintenant, il ne lui restait qu'à se débarrasser de deux formalités ennuyeuses.
- Tu peux l'accompagner. Décris ce qui c'est passé à l'infirmière et si comme je le pense ta présence à ses côtés n'est pas vitale, rejoins-nous dans la salle d'à côté pour l'exercice pratique.
Liven se releva et fit léviter la civière sur laquelle reposait la jeune fille tout en se dirigeant vers la porte qu'il ouvrit pour la faire passer, avisant celle de l'infirmerie. Il se retourna alors vers la classe tandis que la jeune fille passait tranquillement dans le couloir, tâchant de faire retomber la tension et l'inquiétude ambiante en affichant une expression rassérénée fabriquée de toute pièce.
- Je mesure l'intensité de votre déception mais le cours va se poursuivre normalement.
Un sourire provocateur à peine dissimulé s'inscrivit fugitivement sur ses lèvres avant qu'il ne poursuive.
- Rangez vos affaires et suivez moi en silence dans la salle d'entraînement. Pour les autres candidats au séjour à l'infirmerie, essayez au moins d'attendre le premier exercice avant de vous présentez...
Il passa à son tour la porte mais demeura adossé au mur, attendant que tous les élèves sortent pour être certain de n'en perdre aucun au passage.
**Envoyé une élève à l'infirmerie en même pas vingt minutes de cours... Tu cherches à établir des records ?**
**A ton avis, pourquoi je ne vais pas moi même à l'infirmerie?**
**C'est lâche d'envoyer un élève sur lequel l'infirmière ne pourra pas passer ses nerfs.**
**Peut être mais c'est infiniment plus confortable.**
La civière quant à elle, avait rejoint l'infirmerie devant laquelle elle demeura statiquement flottante tandis que Liven se préparait à ce que son sort soit reprit par sa collègue. De fait, lorsque ce fut fait, il se préoccupa davantage des autres élèves qu'il avait à sa charge et les invita à entrer dans la salle d'entraînement. Sabbat tressaillit un instant, ce qui n'échappa en rien à son humain qui jubilait intérieurement.
**Dis-moi que c'est une coïncidence.**
**Totalement fortuite.**
**Mais bien sûr... Tu pourrais au moins éviter de paraître si nostalgique !**
**Pour quelle raison ? C'est un merveilleux souvenir.**
**Tu es complètement fou, tu sais ça ? Vous avez failli vous entretuez ce jour-là !**
**Il n'empêche que c'est moi qui avait gagné.**
Il s'agissait d'une grande salle, haute de plafond, entourée de gradins qui délimitaient clairement les contours d'une arène. La même salle qui avait vu Liven s'élever au-dessus de celui qui avait toujours été considéré comme le génie de l'Académie, qu'il avait toujours considéré comme son rival. Le souvenir des duels de sa troisième et dernière année qui l'avait définitivement consacré comme l'un des meilleurs élèves de l'école. Des souvenirs qui paraissaient tellement lointains désormais... Il se tourna vers la classe après être monté sur la première marche des gradins pour rester visible de tous.
- Aujourd'hui nous allons nous intéresser à un sort classique de la magie de combat. Il s'agit du bouclier, une sphère magique invisible ou légèrement colorée qui entoure le magas et qui, selon le niveau, le protège des attaques magiques et même physiques provenant de l'extérieur. Ce sort a pour première vocation la défense mais vous apprendrez bien vite les multiples variantes que l'on peut lui appliquer. Dans un premier temps, j'aimerais que vous travailliez la forme de base de façon à obtenir un début de bouclier plus ou moins consistant et plus ou moins homogène dans le but de repousser ceci.
Le jeune homme tendit la main, paume ouverte vers le haut dans laquelle une balle de tennis vint se nicher, sortit d'un sac en toile où sommeillaient visiblement ses semblables.
- Dans les examens de fin de première année, il vous sera demandé de confectionner un bouclier stable et homogène qui puisse résister à une attaque magique faible. Concernant la confection de ce sort, je vous demande d'être attentifs et de ne pas relâcher votre concentration.
Ne restait plus qu'à montrer un exemple et à leur expliquer la confection du sort... Tâche fastidieuse et ennuyeuse s'il en était... Son regard glacial vogua un instant sur son groupe d'élève.
- Un volontaire ?
Liven lança un sourire hypocrite à ses futures victimes tandis que la balle de tennis s'élevait rapidement dans les airs, multipliant accélérations soudaines et arrêts brutaux, rendant sa trajectoire parfaitement imprévisible. Il avait du mal à réaliser qu'un jour il s'était retrouvé à leur place...
- Ne vous inquiétez pas, il ne mord pas trop méchamment.