- Où en étions-nous ? Ah, oui, vous vous apprêtiez à me dire ce qui vous a entraîné dans ce voyage !
Grey, qui avait abandonné son attitude contrite à l'instant où la petite brune avait tourné les talons, reporta son attention toute relative sur la piquante et sympathique jeune femme qu'il venait de rencontrer.
- Très juste !
… Non, pas du tout.
- Figure-toi que c'est une histoire plutôt rocambolesque dans la mesure où je dois tout à Léo dont la passion pour le café frise le culte immodéré dans la mesure où il le qualifie, je cite, de « nectar des dieux ». Léo donc, achète du café dans des quantités pratiquement industrielles et...
Mais notre cher ami n'eut pas le temps de deviser davantage sur la grande passion de Léowyn, pas plus que sur le jeu concours qu'il avait remporté par la fidélité exemplaire qu'il vouait à sa marque préférée, pas plus que sur la profonde et indéfectible amitié qui les liait, ni encore sur le malheureux contre-temps qui avait conduit Léo à se sacrifier à son bénéfice, entérinant de ce fait une dette d'honneur que Grey s'était promis d'honorer en rapportant des échantillons rares du café local. Grey fut bien au contraire projeté manu militari en direction immédiate d'une dune de sable ; circonstance qui eut le mérite de couper court à son exubérance, pour aussi sympathique qu'elle soit, et dont il commençait tout juste à faire preuve à mesure qu'il commençait à se sentir à l'aise.
Surpris, Grey parvint néanmoins à opérer un magnifique rouler-bouler au terme duquel il s'agenouilla pour observer rapidement son environnement avec un professionnalisme qui trahissait une certaine expérience de l'inconnu et de la meilleure façon d'y déceler un danger potentiel. Pourtant, si un vent faible et la lumière crue l'obligeaient à plisser les yeux, rien ne semblait le menacer si ce n'était cet horizon désespérément vide. Le paysage se déclinait en une rapide succession de dunes de sable brûlant qui s'infléchissait vers le nord, surmonté par un ciel limpide. Il déduisit de la position du soleil et de l'étirement de son ombre qu'il devait être environ 16h. D'un coup d’œil rapide, il prit conscience que d'autres personnes de son groupe avaient subi le même sort que lui. Puis, il nota que ses vêtements épais n'étaient pas des plus adaptés pour ces températures désertiques, tout en le protégeant temporairement du soleil. Son observation n'avait pris que quelques secondes et il s'adapta à cette nouvelle situation comme s'il n'avait jamais été question qu'il débarquât ailleurs qu'en plein désert.
Se redressant dans une attitude beaucoup plus détendue et nettement moins fluide, Grey avisa que son sac à dos se trouvait à proximité, déversant sur le sable brûlant quelques éléments de son contenu. Il le rejoignit en quelques enjambées, se félicitant d'avoir passer des bottes paramilitaires qui avaient le méritent de ne pas laisser le sable le brûler ou s'insinuer entre le cuir et sa peau. S'occupant de le redresser, il en sorti une boussole qui confirma son impression première, pointant le nord vers les dunes qui s'affaissaient en vagues régulières. Sachant que les dunes faussaient l'estimation des distances et qu'ils se trouvaient dans une position légèrement surélevée, mais que la vision humaine portait à environ cinq kilomètres, il estima qu'il lui faudrait environ deux heures pour rallier l'horizon en tenant compte du dénivelé et de la nature du terrain. Grey savait également qu'une bouteille d'eau d'environ 75 ml traînait dans son sac, malheureusement de nature à chauffer rapidement dans son contenant en plastique. Néanmoins, bien hydraté à l'heure actuelle, il ne devrait pas ressentir les désagréments de la soif avant le début de soirée et, en se rationnant, il y avait largement de quoi tenir jusqu'au lendemain midi. Restait à savoir quelle était la condition physique et la situation de ceux qui l'accompagnaient.
Grey se retourna avec un sourire encourageant à ses compagnons d'infortune. La fille était élancée et, si elle ne semblait pas une habituée des exercices particulièrement physiques, il estima qu'elle ne rencontrerait pas de difficultés particulières à se lancer dans une marche forcée. De l'autre côté, le grand costaud profitait d'une excellente constitution physique, malgré une attitude qui trahissait très clairement le profond mal être qu'il devait ressentir à se retrouver dans cette situation inédite. En attendant, s'il se souvenait bien, sa voisine détenait un briquet et dissimulait dans son hoodie un objet qu'il pensait être un portable ou quelque chose dans ce genre. Il ne se faisait pas d'illusion, il y avait peu de chance que le réseau fonctionne ici. Néanmoins, il faudrait songer à en économiser la batterie. A part ça, le jeune homme avait étalé le contenu de ses poches et Grey n'eut aucun mal à se remémorer le stylo, le mouchoir, le paquet de chewing-gum, la vieille feuille toute froissée, le prospectus pour la prochaine « Pourle Party » à Sannom, la boîte de cachets contre le mal de transport, les 1,43 ryz, les miettes de pain et le vieux papier de bonbon. Absolument rien qui ne puisse s'avérer utile pour la survie en milieu hostile... Grey se souvint brutalement du nombre de cachet qu'il avait avalé avant le transfert, essayant de déterminer si cela leur poserait problème.
Alors qu'ils se remettaient tout juste de leur arrivée, s'occupant de se débarrasser du sable et tentant de reprendre leurs esprits, Grey reprit la parole d'un air enjoué :
- ...Bref. Toujours est-il qu'il y avait donc ce jeu concours et que Léo, en client fidèle de sa marque préférée, s'est retrouvé en être l'un des grands gagnants. Bien que ce fut une déchirure, il dut renoncer à son gain qui tombait plutôt mal. C'est ainsi que je me suis retrouvé bénéficiant d'un voyage à Sharapar avec la promesse de lui rapporter autant d'échantillon de café différent que possible <3. Bon, par contre, ça semble un peu contrarié là tout de suite et je ne me souviens plus si les gens qui habitent le désert du Gopal font ou non du café. Regard vague trahissant une seconde de réflexion malheureusement déçue. Sans doute que Léo aurait pu répondre à ce genre de question sans problème, c'est dommage qu'il ne soit pas là.
Évidemment.
Sans surprise.
Normal.
Arrêtant deux minutes de jouer au con, il désigna du menton un objet situé près du jeune homme :
-Tient, …
La méconnaissance absolue des prénoms de ses compagnons le laissa perplexe une seconde avant qu'il ne trouve une parade :
- …Elvis, tu pourrais récupérer ça, s'il te plaît ?
De là où il se trouvait, cela ressemblait à une radio mais il n'osait croire à une telle chance.
- Moi, c'est Grey <3.
Il aurait fallu chercher longtemps la différence entre l'armoire à glace qui semblait prêt à pique-niquer en plein désert comme s'il n'y avait rien de plus naturel au monde et un gamin à son premier jour d'école. Son innocente était presque touchante de ridicule.