Chapitre 1 : Acrobates
« Et maintenant, les fabuleux Pass et Telsan ! »
Roulement
de tambour, lumière qui se coupent ; Durant un instant, la salle est
plongée dans l’obscurité. Cela ne dure pas. Rapidement, deux spots
viennent éclairer deux personnes, perchées sur un espèce de balcon
accroché à une perche à une dizaine de mètre de hauteur . Tout deux
tiennent dans la main un trapèze et font signes au public. Celui de
gauche, c’est moi. Je m’appèle Pascal Norton, et Pass est mon nom de
scène. J’ai vingt-huit ans, et je suis trapéziste. Acrobate quoi !
Face
à moi, dans le même maillot moulant bleu et rouge, mon coéquipier de
scène, Michael Rabbit, alias Telsan. Mais, bon, il préfère qu’on
l’appèle pas son nom de scène ce que je peux comprendre aisément. Il
salue la foule, un sourire énorme scotché au visage, sous ses grand s
yeux verts à moitié caché sous sa foisonnante chevelure noire. Bref, le
beau gosse de base… Je l’adore.
Nous sommes actuellement à une
compétition régionale des arts du cirques dans une petite ville du
Maine dont le nom m’échappe. De toute façon, ce n’est pas vraiment
important, alors je ne vais pas vraiment tergiverser là-dessus.
Permettez que je reprenne le cours des évènements.
Après notre
salut, nous remettons un peu de talc sur nos main et nous nous
élançons, chacun de notre côté, droit vers l’autre. Cela fait
maintenant cinq ans que nous faisons ce numéro, il tourne maintenant
comme une mécanique bien huilée. Au sommet de la courbe de mon trapèze,
je lâche la barre en bois, et me retrouve dans les airs. Je tourne sur
moi-même avant de me rattraper sur un troisième balancier, placé au
milieu de la scène. De son côté Telsan prenait de l’élan, prêt pour la
figure suivante. Je commençais moi aussi à me balancer, et, lorsque
nous fumes coordonnés, nous lâchâmes nos deux trapèzes au même moment,
nos croisant dans les airs et chacun attrapa le balancier de l’autre au
même moment.
Applaudissement dans la salle. Nous continuâmes
ainsi, voltigeant dans les airs d’un côté à l’autre, semblable à deux
oiseaux colorés. Peu à peu, nos figures devenaient de plus en plus
audacieuses, notre rythme plus élevé, nos gestes plus dangereux. De
notre côté, Telsan et moi étions parfaitement concentré sur ce que nous
faisions, et rien ne pouvait nous faire sortir de notre petite bulle.
Nous faisions ce pour quoi nous étions le plus doué, et nous le
faisions à la perfection.
Peu a peu, le public se « réchauffa »
et applaudit de plus en plus bruyamment. Nous avions capté son
attention, nous étions devenu, pour un instant, la seule chose
importante dans leur vie. Tous se demandaient ce qui allait suivre,
tous s’attendaient à quelque chose de plus fantastique à chaque
nouvelle figure. Nous avions conquis nos spectateurs, et nous
augmentions à chaque voltige notre emprise sur lui. Comment décrire
l’incroyable exaltation qui nous viens alors ? Comment vous dire le
sentiment que nous ressentions ? Citer une série d’adjectifs ne
montreraient pas encore tout le bonheur que l’on ressent alors. Je
crois que la seule façon de le ressentir est de le vivre. J’ai vu
depuis bien des choses merveilleuses ou étranges, mais rien ne peut se
comparer à ce sentiment unique. Nous étions, durant un bref instant, le
centre de l’univers de plusieurs personnes.
C’est là qu’il se
passa quelque chose. Nous entamions la dernière figure de notre
programme, qui n’était pas très spectaculaire ne elle même mais qui
refermais notre spectacle de façon assez sympathique. Je me pendis,
tête en bas, n’étant plus retenu que par la force de mes genoux.
Telsan, de son côté allait s’élancer, se lâcher alors que je le
rattraperai. Dans le même mouvement, je le relancerai de suite vers le
trapèze suivant. Les lumières se couperaient alors, et fin du numéro.
Du moins, c’est ainsi que tout devait se passer. Telsan se lança comme
prévu, mais, au moment de le rattraper, je vis une chose impossible :
durant un très court moment, à son visage, se superposa celui de la
femme que j’avais aperçu dans mon rêve, celle que les vieillards
observaient dans leur nuage de fumée. Je commençais alors à reculer les
bras, ne voulant pas saisir cette personne. Puis ce visage disparut, et
Telsan redevint Telsan . Je retendis mes bras et saisis ses mains de
justesse. Il s’en était fallu de peu pour qu’il n’aille s’écraser dix
mètres plus bas.
La fin du numéro se passa comme prévu. Nous
redescendîmes saluer le public, ainsi que le veux la coutume, et Telsan
ne dit rien. Il n’avait donc pas remarqué mon geste furtif ? je
l’espérais. Je voyais assez comment expliquer ce qui pourrait passer
pour une tentative de meurtre. En effet, une chute de cette hauteur
aurait très bien put le tuer. A ce moment, j’ignorait totalement ce qui
m’arrivait, et je crois que, si cette situation avait duré plus
longtemps, j’aurais sans doute fini fou. Si vous faisiez des rêves
pareil et que ces rêves envahissaient votre quotidien, comment est-ce
que vous réagiriez vous ? Enfin, revenons à notre récit.
Après
nos salutations, Telsan et moi retournâmes dans notre mobil-home. Et
oui, pas de roulotte, ni d’appartement, mais un bon vieil mobil-home
dernier cri… quand on l’avait acheté, c'est-à-dire cinq ans auparavant.
A peine à l’intérieur, je me jetai littéralement sur mon lit. Ce genre
de spectacles étaient particulièrement éprouvant et, avec la meilleure
volonté du monde, et malgré les longs entraînements, on était
complètement crevés en en sortant. Enfin, quand je dis on, je parle des
être humains normalement constitués. Telsan lui, même s’il n’était
vraiment en pleine forme physique, ne semblait pas plus fatigué que si
il avait couru un 100 mètres. On l’aurait cru bon pour un second tour.
Pas moi.
Peut-être, pour que vous compreniez un peu mieux la
situation, faudrait-il que je vous raconte comment nous nous étions
rencontrés et comment nous avions décider de vivre une vie pareille ?
Oui, ça pourrait être utile. Bah et bien… ce n’est pas particulièrement
glorieux, ni même joyeux en fait…
Je suis né à New-York et,
jusqu’à il y a cinq années, je ne l’avais pour ainsi dire jamais
quittée. Mes parents… et bien, mes parents étaient obsédés par leur
travail, me laissant la grosse majorité de la journée seul avec une
quelconque baby-sitter . Avocats tous les deux, il espéraient bien me
voir suivre leur digne lignée… ce qui aurait été le cas, s’ils
n’avaient pas commit une erreur, une erreur de taille. Ils laissèrent
l’une de mes charmantes gardiennes m’emmener au cirque. A l’époque, je
ne devais pas avoir plus de sept ou huit ans, et c’était la première
fois que j’allais voir un tel spectacle. Imaginez donc l’état dans
lequel je me trouvais. Excité, enthousiaste et en même temps un peu
effrayé… j’ignorais totalement ce que j’allais bien pouvoir voir là
bas.. Lorsque le spectacle commença enfin, je n’étais plus tenable.
Excité comme une puce, je sautais sur mon siège, je
piochais-généreusement- dans notre saut de pop corn et je cherchais du
regard la moindre piste sur ce qui allait se passer. Je m’attendais à
quelque chose de fantastique. Je ne fus pas déçu.
Dès que cela
commença, je fus sous l’emprise des artistes qui défilèrent devant moi.
Jongleurs, dompteurs, clown et magiciens m’émerveillèrent. De mon
enfance, je crois que ce jour fut le plus heureux. Mais rien, non rien
ne m’avait préparé au fantastique spectacle des acrobates. A ce moment,
il me semblait voir des personnes capables de voler, littéralement, de
barre en barre, de corde en corde, de trapèze en trapèze. Je crois que
j’aurais pu rester ainsi des heures à les regarder voltiger. Je n’en
revenais pas, je n’aurais alors jamais cru possible que des hommes
puissent être si agiles. Sortant de là, c’était ce qui avait marqué le
plus mon esprit de jeune enfant. J’avais dès lors décidé de ne plus
suivre la voie toute tracée que m’offraient mes parents. Acrobate,
voilà ce que je voulais devenir.
Lorsque je l’annonçais à mes
parents, ils le prirent pour une petite passade, une envie d’enfant qui
finirait par disparaître avec le temps. Ils décidèrent donc de ne pas y
prêter attention. Plusieurs années passèrent ainsi, je m’entraînais
comme je pouvais durant mes temps libres. A quatorze ans, je rejoignis
un petit groupe qui s’entrainais dans une arrière salle miteuse. Nous
faisions cela le soir, et j’inventais une histoire pour mes parents,
ainsi persuadés que je participais à un club d’échec. Grand bien leur
en fasse.Cela dura encore plusieurs années avant que je ne leur avoue
la vérité. En fait, je ne le fis qu’à l’âge de vingt-trois ans.
Rendez-vous compte du temps qu’il m’a donc fallu pour parler à mes
parents.
Leur réaction… ne fus pas celle attendue, mais, somme
toute, n’était pas vraiment une surprise. Ils me chassèrent de la
demeure familiale, disant qu’ils ne souhaitaient plus me revoir tant
que je n’aurais pas repris mes esprits. Je me rendis alors compte
qu’ils ne m’avaient jamais compris, et que, quoi que je fasse, ils ne
me comprendraient jamais. Je fis donc ce qu’ils me demandaient, même si
ce ne fut pas une décision des plus simples. Ce fut même l’une des plus
dures de ma vie. Décider ainsi de quitter ses parents ce n’est pas
forcément agréable. Mais le faire parce qu’on est chassé, c’est
absolument horrible… Bien, qu’en y réfléchissant, cela me simplifia la
vie sur de nombreux points. Mais sur le moment, je ne vis que la
séparation d’avec tout ce que je connaissais alors. Je fis donc la
seule chose logique dans une telle situation : j’allais me saouler dans
un bar miteux de Brooklyn.
C’est là que Telsan entre en scène.
Lorsqu’il entra lui aussi dans le bar, j’étais déjà bien éméché… voire
même complètement saoul. Faut dire que cela faisait déjà plusieurs
heures que je m’enfilais assez régulièrement des Tequila et autres
alcools du même genre. Aussi, lorsqu’il vint s’asseoir à côté de moi,
je n’y prêtais pas la moindre attention. A ce moment, j’était bien plus
occuper à fixer le fond de mon verre qu’à essayer de comprendre ce qui
se passait autour de moi.. Je ne consentit à lui adresser un regard
embuer par l’alcool que lorsqu’il me parla, d’une voix calme et posée,
comme s’il parlait du temps qu’il faisait :
« Des problèmes à noyer ? Je ne suis pas sur que ce soit de cette façon qu’ils vont s’arranger… »
Simple,
bref mais efficace. Je me tournai donc vers lui, et observait un
instant son visage de beau gosse, au nez fin et yeux verts devant
lesquels, de temps en temps, passait un fine mèche de cheveux noirs. Il
était aussi un peu plus grand que moi, et, vu la taille de ses épaules
et de ses avant-bras, plus fort aussi. Mais, le problème principal
lorsqu’on est sous l’emprise de l’alcool, c’est qu’on est plus capable
d’apporter à de tels détails l’importance qu’ils méritent vraiment., en
plus d’être d’une impolitesse monstrueuse, et d’avoir une tête hideuse.
Bref, ma réponse fut celle que l’on pouvait attendre :
« Et en quoi ça te r’garde ? T’es pas mon père que je sache. Remarque, lui non plus, ça ne le regarde plus maintenant ! »
Sur
quoi j’éclatais d’un gros rire d’ivrogne ; sourd et gras ( le rire, pas
moi …). Mon interlocuteur ne se laissa guère démonter par cette
remarque assez peu compréhensible- et malodorante, vu mon haleine- et
se contenta de m‘observer quelques instants. Que diable pouvait-il se
dire ? Je ne le sais toujours pas, et je n’ai jamais pensé à lui
demander. Et maintenant, ce n’est plus vraiment possible…Enfin, bref,
après cette observation il reprit la parole, cette fois pour me
demander pourquoi j’étais là. Après plusieurs réponses plus ou moins du
même acabit que la première, ainsi que plusieurs autres verres, je
commençais tout doucement à lui raconter l’histoire de ma vie jusque
là. Je ne me souviens pas vraiment de la fin de la soirée, perdue à
jamais dans les brumes de l’alcool. Par, contre, je me souviens assez
bien de mon réveil, et de la gueule de bois qui alla avec.
Je me
réveillais avec l’impression qu’une centaines de marteaux tapaient à
l’intérieur de mon crâne, et, pour ne rien arranger, je me cognai la
tête au plafond en me réveillant. Bonjour, et bonne journée… Je me le
vais et fit quelques pas avant de me rendre compte qu’il y avait un
problème de taille : où étais-je ? J’avais toujours vécu chez mes
parents, et je les imaginais mal descendre dans un bar miteux à ma
recherche. Qui plus est, la chambre dans laquelle j’étais ne
ressemblais pas du tout à la mienne. Elle était… spartiate. C’est le
seul mot qu’on peut utiliser dans un tel cas : on aurait dit que la
personne habitant là n’était pas arrivé depuis bien longtemps, et
qu’elle n’avait de toute façon pas l’intention de rester.