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    Sacrifice [PV: Arya]

    Liven Reaves
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    Message  Liven Reaves Sam 9 Oct 2010 - 12:31

      « Les grandes choses de ce monde ne sauraient s'accomplir sans sacrifices. Plus ils blessent et nous piquent, plus le mérite est grand et l'acte louable. Sacrifie tout ce dont tu ne crois pouvoir te défaire ; tu comprendras que plus rien dès lors ne se trouve hors de portée. » Le lourd tissu de son manteau retomba mollement sur ses épaules tandis que, sa pensée ayant suspendu son geste, il entreprit de l'ajuster d'un air soucieux et distrait. Calmement, il récupéra son arme posée sur la vieille table de réception, devant le fauteuil décrépi où il s'était installé. Son regard glissa avec indifférence et lassitude sur l'état passablement délabré de la pièce, pendant que ses doigts lestes achevaient d'épousseter le feutre ou de dégager l'étreinte de son écharpe ivoirine. Le rectangle allongé qu'elle constituait, donnait à ses dimensions une impression de fuite et d'étroitesse alors même qu'elle disposait d'un espace appréciable. Enterrée pour plus de la moitié, elle offrait le luxe de fenêtres ramassées s'étirant sur toute la longueur du mur. Ternes, sales, jaunis, elles filtraient une lumière froide et atténuée teintant les murs d'un timide et pâle halo jaunâtre qui, s'il offrait une luminosité parfaitement satisfaisante, renforçait nettement la sensation de défraîchissement que l'on pouvait ressentir. Leur mosaïque se trouvait accolée à un plafond bas soutenu par trois piliers qui, comme le reste des murs mis à nus, affichaient le béton gris et brut hérité de leur construction. A l'opposé des fenêtres, rendues borgnes par la saleté et le temps, un grand miroir habillait ce sous-sol et donnait une impression d'espace d'autant plus saisissante que son ameublement était pauvre. Collée contre le mur extérieur, une table longue de cinq à six mètres occupait la majeur partie de la pièce, comme abandonnée et oubliée. Ses pieds finement ouvragés, la marqueterie élégante de son plateau, ses arabesques dorées, tout laissait deviner un objet d'une grande distinction derrière l'épaisse couche de poussière qui le recouvrait, le vernis abimé, le bois bossu, craquelé ou rongé. A son image, une dizaine de fauteuils l'accompagnaient, pour la plupart empilés sans le moindre soin dans un coin de la salle. Deux se trouvaient à leur place attendue, rangés sous la table, laissant la poussière s'entasser en leur sommet, le tissu pourpre élimé et les dorures rouillées. Un autre faisait face à celui de Liven, dos au miroir tandis que celui que le jeune homme venait de quitter se trouvait négligemment tiré et tourné à demi en travers de la table, rompant avec l'unité des lignes à angle droit de la pièce. A son mouvement, les fines particules de poussière se soulevèrent dans les volutes de l'air déplacé, scintillant avec lenteur dans les rayons pâles qui tombaient des fenêtres obscures. Liven détourna les yeux pour ne plus s'intéresser qu'à sa montre et à l'heure du rendez-vous qui approchait, détournant son attention de la doctrine que Sorel avait patiemment distillée en lui et qu'il s'apprêtait à transmettre à son tour.


      Un instant immobile, il laissa ses souvenirs l'envahirent en écho aux paroles de celui qui l'avait formé à la magie noire. Son regard vague se perdit dans la contemplation du miroir qu'il ne semblait pourtant distinguer. Honnêtement, que n'avait-il pas sacrifié ? Non. Il devait chasser cette mélancolie douloureuse et chargée de regrets. Jamais il ne pourrait revenir sur son passé ; il ne pouvait plus qu'y faire face, d'une façon ou d'une autre. Aujourd'hui, ce n'était plus de lui dont il était question, perdu comme il l'était dans l'abîme insondable de souffrances où il s'était laissé entraîner. Aujourd'hui, seul importait celle dont il attendait sa rédemption ou sa condamnation. Arya n'en avait peut être pas conscience, mais les enjeux de son apprentissage dépassaient de très loin ses propres considérations et désirs de puissance. Liven ne cherchait plus à la dissuader de l'aberration à laquelle elle aspirait, il ne cherchait plus à repousser l'échéance de devoir répondre à ses attentes, il ne cherchait plus à fuir ses propres démons, résolu à mettre tôt ou tard un terme à cet enfer. Étrangement, depuis qu'il en avait pris conscience, depuis qu'il s'était enfoncé cette aiguille dans le bras, depuis qu'il avait accepté l'inévitable destin vers lequel il se dirigeait, il se sentait apaisé. Un soulagement insidieux le dominait à l'idée que bientôt, tout serait fini. Cet absolu était sa seule certitude, la seule à laquelle il pouvait s'abandonner, la seule pour laquelle il trouvait encore la force de combattre et de s'acharner contre lui-même dans un ultime effort, un sursaut de volonté inflexible. Ces trois dernières semaines, son hésitation avait été encore fortement visible. Il n'avait enseigné à Arya que des exercices de base qui n'impliquaient pas de bouleversements importants par rapport à un entraînement à la magie conventionnelle. Surtout théorique, il avait détaillé très précisément l'action de la magie noire sur le corps et l'esprit du magas, la mettant constamment en garde contre tel ou tel aspect. Les sorts les plus élémentaires, il les lui avait transmis, sachant qu'elle en serait peu affectée et se plaisant de son côté à les effectuer pour s'enivrer toujours davantage de la sensation qui l'envahissait dès lors. Doucement, il avait recommencé à perdre le contrôle, à se laisser de plus en plus séduire par ce jeu dangereux qui consistait à frôler le moment où il risquait de s'abandonner à la puissance occulte. Le moindre sort devenait une tentation à laquelle il avait de plus en plus de mal à résister, à tel point qu'il préférait encore s'en abstenir autant que possible. Les migraines se faisaient quotidiennes, tout comme les nausées d'un corps poussé à ses limites et que la fatigue affaiblissait sans relâche. Jusqu'à aujourd'hui... jusqu'au moment où il avait enfin réaliser ce qu'il devait faire. Il fallait que cela cesse au plus vite, et pour cela, il devait continuer.


      On pouvait reprocher à Liven nombre de ses défauts, son avidité, son ambition, son idéalisme, son extrémisme, son impulsivité... Pourtant l'on ne pouvait lui enlever son réalisme, son pragmatisme et son obstination. Lorsqu'il avait rencontré Sorel, il n'était qu'un jeune homme arrogant, idéaliste, aveuglé par sa colère et sa frustration. Sa rancune et son impuissance l'avaient tout droit mené jusqu'à lui, jusqu'à l'horreur qu'il lui avait proposé et enseigné. Il s'était appliqué avec zèle à gagner en puissance. Il s'était obstiné avec délectation à confondre sa haine et son impunité. Il avait lui-même ériger les barreaux de la prison de souffrances où il se trouvait encore enfermé aujourd'hui. Mais il l'avait fait en toute connaissance de cause. Jamais il n'avait sous-estimer la puissance destructrice de la magie noire et pourtant, il avait continué. Jamais il n'avait cru pouvoir se pardonner les horreurs que Sorel lui demandait de commettre et pourtant, il avait continué. Jamais il n'avait songé que les choses pourraient redevenir comme autrefois et pourtant, il avait continué. Ses choix, ses peines, Liven les assumait. Nul autre ne pouvait porté la responsabilité de ce qu'il avait accompli ; il n'envisageait même pas qu'il en fût autrement. Aujourd'hui encore, il se détruisait à petit feu. A chaque fois qu'il s'essayait à la magie noire, à chaque fois qu'il se réveillait la nuit, à chaque fois qu'il voyait ce qu'il était devenu... par ses propres pêchés. Là aussi, il avait cessé de se leurrer et de se perdre en illusion. Deux jours auparavant, pathétique, lorsque submergé par la fatigue et le désespoir il avait baissé les bras face à cette douloureuse constatation, il avait fait le choix de ne plus fuir la réalité. Les choses lui apparaissaient à présent aussi simples qu'évidentes. Liven savait qu'il n'aurait jamais la force de continuer éternellement cette lutte contre lui-même, contre son désir inextinguible de goûter à la magie noire. Il savait que celle-ci le détruisait ; non seulement son corps amaigri et affaibli, mais aussi son esprit brisé et effrayé. Bientôt, il ne serait plus capable de faire la part des choses, bientôt, il se laisserait totalement submergé par l'euphorisante folie qui le guettait, bientôt, il cesserait d'être lui-même pour se transformer en cet être effrayant de cruautés et d'ambitions malsaines que Sorel avait tenté de construire à son image. Non, il ne pourrait pas l'empêcher. Penser le contraire c'était se montrer ridiculement naïf et prétentieux. Il ne l'avait que trop été... La seule solution était de trouver un magas suffisamment puissant pour pouvoir contrôler la magie noire et l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard. La seule solution était de s'opposer le plus rapidement possible l'adversaire qui saurait mettre un terme à cette dérive à sa place. La seule solution était d'entraîner Arya afin qu'elle devienne ce magas, même si cela impliquait qu'il accélérerait le processus d'autodestruction. Il devait poursuivre cette folie afin qu'elle puisse y mettre un terme.


      C'est pourquoi Liven avait cessé de fuir. Prendre conscience de cette fatalité l'avait aidé à pouvoir y faire face tout en se condamnant définitivement. Sacrifice... Pressé par l'échéance de sa perdition qui approchait à grands pas, il ne pouvait plus tergiverser sur le rôle qu'il consentait à donner ou non à Arya. Elle était là pour lui, elle le serrait toujours... quoiqu'il puisse lui demander. C'était maintenant que les choses sérieuses pouvaient commencer. Les discours théoriques, les sorts d'esbroufe, la sauvegarde de sa sensibilité, il n'avait plus le temps pour tout cela. Si Arya passait ce test, elle dépasserait un stade décisif dans son apprentissage de la magie noire ; alors il saurait qu'il pourrait lui faire aveuglément confiance lorsque le moment serait venu. Sacrifice... il se sacrifiait pour elle pour qu'elle se sacrifie pour lui. « Si tu as encore quelque chose à sacrifier tu ne parviendras jamais à maîtriser la magie noire. » Les mots de Sorel, encore, comme une litanie interminable qui défilait dans son esprit. Liven ne savait s'il devait s'en réjouir. Oui, il avait encore des choses à sacrifier et il les abandonnerait avant de les détruire. Sacrifice... Sorel lui avait tatoué cette notion sous la peau. Il en avait déjà fait tellement, il en avait déjà tellement provoqué. Sacrifice... Liven releva les yeux, prêt à partir rejoindre l'élève qui un jour, devra choisir pour lui. Des yeux d'un bleu épuré qui en rencontrèrent d'autres... Il était là, devant lui, à nouveau. Ces longs cheveux noirs fins et élégants, ce teint blafard qui renforçait le contraste, ce visage jeune et noble, ces yeux... ses yeux intensément bleus, intensément clairs, qui le fixaient avec cette lueur malsaine dans le prunelle, ce vice à la fois terrifiant et séduisant. Liven se figea instantanément, traversé dans la seconde d'un éclair de stupeur incrédule et effrayée. Non, c'était impossible. Les réflexes l'emportèrent sur la rationalité, le miroir explosa littéralement. Les débris glissèrent et ricochèrent sur le sol avec un tintement cristallins qui résonna dans la salle. La lumière se diffracta à leur rencontre, faisant miroiter leur éclat dispersé. Haletant, Liven sentit ses muscles se détendre en même temps qu'il prenait conscience que Sorel n'avait jamais été présent dans cette pièce. Ce qu'il venait d'attaquer, c'était son propre reflet. Il se laissa reculer contre le mur auquel il s'adossa pour y fermer les yeux et calmer les battements affolés de son cœur. Il avait confondu leur image, leurs yeux presqu'en tout point identiques. Était-il devenu ce qu'il détestait le plus au monde ? Liven ne tarda pas à reprendre le contrôle de ses émotions, l'effet de l'adrénaline retombant. Avant de partir, Sorel avait-il eu la même idée que lui ? Avait-il cherché en Liven celui qui arrêterait sa folie avant de se raviser au dernier moment ? Troublé, il attendit encore un instant avant de sortir d'un pas énergique. Liven avait besoin de fuir cet endroit, de partir aussi vite que possible, de disparaître qui sait...


      Les quartiers mal famés n'étaient évidemment pas l'endroit le plus fréquentable de Sannom mais pour le coup, Liven s'était surpassé dans le choix du lieu de l'entraînement d'Arya. La seule évocation que l'on aurait pu avoir de cet endroit était celle d'un coupe-gorge. Les rues serrées, emplies de ténèbres, étaient une invitation aux guet-apens. Le délabrement des bâtiments, presque des ruines pour certains, n'évoquait qu'une misère effroyable. Les habitants n'étaient que renégats, trafiquants, meurtriers en tout genre. S'il n'avait fait jour, Liven lui même aurait hésité à s'aventurer seul si profondément dans les quartiers mal famés. Ce serait la première épreuve qui attendait la jeune femme. Après quelques pas, il s'arrêta au coin de la bâtisse qu'il avait réquisitionné pour l'occasion. Maintenant, ne restait plus qu'à l'attendre. Qu'elle vienne vite... il avait besoin d'elle. Le vent s'était levé et jouait à chasser ses cheveux sur son front, le tissu de son manteau et du jean gris qui l'habillaient étant trop épais pour en souffrir le désagrément. C'est avec bonheur qu'il accueillait en revanche les gifles glacées qui s'abattaient sur son visage aux intervalles espacées des rafales. Elles avaient le mérite de le maintenir alerte en l'empêchant de se perdre dans la somnolence coutumière d'une mélancolie qui n'avait plus lieu d'être. L'attente se prolongeant, l'inquiétude prit lentement forme dans son esprit qui recommençait à analyser froidement les éléments disjoints de sa vie. Seule cette distance relative lui permettait de rester immobile contre ce mur plutôt que plonger dans les méandres dangereux des alentours à la recherche de la jeune femme pour qui il aurait oublié toute prudence si elle le lui avait demandé. S'obligeant avec sévérité à un rationalisme excessif pour juguler son inquiétude autant que son appréhension à l'idée de ce qu'il allait lui faire subir, il composa peu à peu le masque qui le préserverait un temps soit peu durant cette épreuve, qui lui permettrait de ne pas prendre trop violemment les conséquences en pleine figure. De façon nettement perceptible quoique progressive, les lignes de son front se relâchèrent, ses yeux plissés et songeurs se firent neutres et alertes, sa mâchoire se ferma tranquillement pour sceller un visage devenu aussi glacial que le vent qui s'engouffrait dans la ruelle. Son regard se remplit d'une morne indifférence mêlée d'une sorte de préoccupation élevée et haineuse qui laissait deviner que ses pensées n'appartenaient qu'à lui et qu'il n'y aurait aucun moyen de le forcer à les dévoiler. Ses épaules se tassèrent tandis que son cou s'étira quelque peu, inclinant sa tête au-dessus du sol à ses pieds, centre de son attention. Son maintient s'en trouva distinctement transformé. Plutôt que se tenir droit et assuré, Liven adoptait une position d'apparente décontraction qui trahissait bien au contraire une posture ramassée comme pour passer à l'attaque ou en éviter une. De fait, il paraissait un peu moins grand et un peu plus dangereux. Le jeune homme enfonça davantage ses mains dans son manteau pour que ses coudes ne soient pas gênés par le mur et ce fut le moment qu'il choisit pour ramener ses yeux vers la sortie de la ruelle, sans pour autant relever sa tête. Si la silhouette de la jeune femme lui procura un même soulagement et une même consolation, il n'en témoigna rien. Toujours immobile, elle attendit qu'elle se rapproche, la fixant presque sans ciller d'un regard de dessous qui se voulait volontairement froid et distant pour ne pas dire agressif. Pourtant, il observait en lui-même sa démarche à la fois vive et élégante, ses cheveux blonds auxquels des rayons de soleil égarés s'accrochaient, son visage trop observé mais toujours aimé. Être avec Arya lui faisait du bien. Avec elle, il n'avait pas besoin de tricher, elle connaissait tout de lui. Même s'il avait fini par accorder sa confiance à Loghan et à lui révéler la vérité sur ses petites fugues intempestives, Liven ne s'était pas résolu cette fois encore à abandonner l'idée de le semer avant de se rendre en ce lieu. Ce qu'ils y partageraient ne devrait jamais appartenir qu'à leur même mémoire, qu'à leur même culpabilité. Un soupir hésita à franchir ses lèvres avant que Liven ne le retienne. Non, sa décision était prise. Même s'il la blessait sur le moment, il n'avait pas le droit d'y renoncer... Il aurait voulu que ce fut quelqu'un d'autre. Sitôt qu'elle fut à porter de voix, il ne lui laissa pas le temps d'entamer leurs relations coutumières d'amitié complice. Se décollant soudain du mur en un mouvement aussi vif que parfaitement contrôlé, il la jaugea d'un regard mort, éteint, absent. Il aurait voulu que ce fut quelqu'un d'autre... mais c'était elle. C'était impardonnable...


      - Viens avec moi.


      Les mots claquèrent dans l'air aussi brusquement et distinctement que la raffale qui les emporta au loin. Né et éteint d'un souffle, l'impératif n'attendait aucune réplique. Si le ton était relativement neutre, l'articulation était trop marquée pour ne pas trahir une certaine brutalité que ses accrocs coutumiers renforçaient vigoureusement. Le souvenir de sa voix grave s'évanouissait à peine qu'il tournait déjà les talons pour revenir à la bâtisse, traversant le petit jardinet abandonné aux mauvaises herbes, montant rapidement l'escalier au bois vermoulu, passant la porte d'entrée, s'arrêtant soudain devant une porte pour s'effacer à demi devant la jeune femme. Ca aurait du être n'importe qui d'autre sauf elle... Il ne voulait pas la sacrifier. L'espace d'une seconde, Liven sembla hésiter. A nouveau, le regard du jeune homme se posa sur Arya en une excuse muette, en une détresse résignée. Maintenant, c'était maintenant ou jamais. Si elle descendait cet escalier, elle ne pourrait plus jamais reculer. Liven recula d'un pas, inspira doucement avant de détourner son regard en silence sur le mur qui lui faisait face, s'occupant à recomposer son masque. Si elle descendait cet escalier, il ne pourrait plus jamais flancher. Liven ne tourna son visage à nouveau vers elle que lorsqu'en le dépassant, ses cheveux effleurèrent sa joue. Elle s'engagea sur les premières marches et il lui emboîta le pas, scellant l'accord tacite qu'ils venaient de passer... dont elle aurait tout à regretter. Liven eut soudain un sentiment d'irréalité, comme si ce qu'ils vivaient à présent dans cette pièce était en dehors de toute temporalité, en dehors de tout ce qui pouvait se concevoir. Peut être qu'au fond les restes éparses de sa moralité lui rappelaient que ce qu'ils s'apprêtaient à faire était tout simplement inimaginable ? Le jeune homme ignora sciemment ces considérations. Résolu, résigné et réaliste, il savait qu'aujourd'hui s'opérait le basculement ; celui où il redevenait pour un temps celui qui avait suivi avidement les cours de Sorel et qui s'apprêtait à suivre les progrès de son élève. Après cette séance, il savait que rien ne pourrait atténuer la haine qu'il se porterait... Parvenant enfin au sous-sol, il se glissa de fait juste derrière la jeune femme, saisissant fermement son bras au niveau du coude pour l'obliger à ne pas se détourner, pour ne pas avoir à la regarder dans les yeux mais aussi pour qu'elle comprenne enfin ce que la magie noire impliquait.


      Devant eux, sur ce fauteuil qui faisait face à celui que Liven avait occupé tandis qu'il le surveillait, un homme était assis. Relativement petit, il n'en restait pas moins qu'il était visiblement un peu plus âgé qu'eux. Ses chevilles faisaient corp avec les pieds du meuble, attachées à l'aide d'une corde fine et visiblement serrée. Ses poignets avaient subi le même sort et reposaient sur les acoudoirs rouillés. Un jean de marque ainsi qu'un col roulé constituait son habillement qui témoignait à la fois d'un certain soin porté à lui-même et à la fois d'une décontraction tout à fait commune. Son visage demeurait dissimulé par un sac en tissu noir, large et épais posé sur sa tête. Liven n'avait pas voulu l'obliger à affronter ça.


      - Réveillé ?


      Liven fit léviter un éclat du miroir détruit pour entailler la main de l'inconnu. Un sursaut violent s'empara de l'homme dont pourtant l'on n'entendit aucun bruit.


      - On dirait bien.


      Le sort que Liven avait placé autour de lui résista encore à la tentative de sa proie pour le briser mais de toute évidence se n'était pas sa première, la défense faiblissait. Liven détruisit son sort mentalement avant de contrer aussitôt celui qui visait à l'atteindre. Il s'occupa sans mal de maintenir son adversaire impuissant en désamorçant ses sorts aussi vite qu'il tentait de les mettre en oeuvre. Ce ne fut qu'une question de seconde avant que le magas n'abandonne face à la résistance calme et méthodique de Liven pour qui tout ceci n'était qu'un simple divertissement tant il était accoutumé à l'exercice. Impossible toutefois que l'échange de tensions magiques ait pu passer inaperçu à Arya. Toujours en la tenant, toujours en refusant de la regarder, Liven s'exprima d'un ton froid, presque impersonnel.


      - Exercice n°1, la magie noire est une magie purement offensive. Dans un premier temps je veux que tu désamorces chacun des sorts qu'il tentera. C'est de la magie conventionnelle, rien d'insurmontable n'est ce pas ?


      Elle avait descendu les escaliers, elle n'avait pas le droit de dire non. Il avait fait son choix, il n'avait pas le droit de la mettre à l'abri... de lui-même.
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    Message  Arya Evans Ven 24 Déc 2010 - 16:47

    ¤ Non. ¤

    La pensée claqua, ferme, dans leurs esprits respectifs.

    ¤ Tu peux dire ce que tu veux, je viendrai. Tu ne peux pas m’en empêcher. ¤

    Arya regarda son familier. En effet, cela risquait d’être dur. Tynador s’assit pour montrer sa détermination.

    ¤ Je ne veux pas que tu viennes, un point c’est tout. ¤
    ¤ Et moi je ne veux pas que tu y ailles seule, un point c’est tout. ¤

    Les deux parties se jaugèrent, essayant de deviner qui cèderait le premier. Les minutes passèrent.

    ¤ Je vais être en retard. ¤
    ¤ Cède. ¤
    ¤ Nous sommes aussi têtu l’un que l’autre, tu le sais très bien. ¤
    ¤ Raison de plus. ¤

    La jeune femme soupira et s’accroupit devant son familier. Elle le regarda, un instant, puis plongea ses mains dans sa belle fourrure fauve, ses yeux bleus dans ses yeux verts. Silence.

    ¤ Tes yeux sont de plus en plus clairs. ¤
    ¤ Hein ? ¤

    Arya se leva précipitamment et alla s’examiner dans le miroir près de la porte d’entrée, étonnée sans trop y croire.

    ¤ N’importe quoi, ils n’ont pas changé d’un iota. ¤
    ¤ Hum. ¤

    La Magassionnelle se retourna pour regarder Tynador, qui n’avait pas bougé. Celui-ci était grave, plus que d’habitude, plus qu’elle ne l’avait jamais vu, ou presque.

    ¤ Tu sais très bien que j’ai raison. Il vaut mieux que je fasse ça seule. ¤
    ¤ Tu as surtout peur de ce que je pourrais te dire. ¤

    Arya se détourna vers son reflet. Que pouvait-elle répondre à ça ? Cela faisait trois semaines que Liven lui dispensait des cours de magie noire. Trois semaines depuis qu’elle avait goûté pour la première fois à ce sentiment de puissance exaltant. Elle faillit sourire en y repensant. Oui, la première fois qu’on approchait de ce pouvoir, on ne pouvait s’empêcher d’être ébloui par les possibilités qu’il offrait. Liven l’avait prévenue, mais elle avait été un peu trop orgueilleuse et ne s’était pas attendu à ça. C’était beaucoup plus agréable qu’elle ne l’avait imaginé. C’était… enivrant.

    Et cela faisait trois semaines qu’elle le cachait à Tynador.

    Avait-elle honte ? Honte des sentiments qu’une telle puissance éveillait en elle ? Elle aurait dû être prudente, prendre la situation avec du recul, voire éprouver du dégoût pour une telle magie qui, pratiquée activement et de façon conséquente, vous privait de l’humanité qu’il y avait en vous.
    Mais ce n’était pas le cas. Prudente, elle l’était. Mais comment pouvait-on être prudent quand vos sens vous trompaient ? Quand ils étaient amoindris, quand la perception des choses était différente ? Certes, elle n’avait pratiqué que des sorts de base. Mais c’était suffisant pour avoir un aperçu plus que convaincant. Et elle se doutait bien que les sorts d'un niveau au-dessus étaient autrement plus attirants. Dangereusement plus attirants.


    ¤ Quand on joue avec le feu, on se brûle, Arya. ¤

    Troublée, elle le regarda. Il n’approuvait pas son choix d’apprendre la magie noire mais le comprenait et le respectait. Et pour cela, elle ne le remercierait jamais assez.

    Arya revint vers le lynx, s’accroupit à son niveau et le regarda de nouveau dans les yeux. Ce petit temps de réflexion, qu'elle ne s'était pas accordé depuis le début de ces trois semaines - par peur de ce qu'elle pourrait y voir ? - lui avait fait prendre conscience de ce qu'elle devait faire.


    ¤ Je te promets d’être prudente, d’accord ? ¤

    La détermination dans son regard fit céder le familier. Quelque chose avait changé. Il savait qu’elle tiendrait sa promesse.

    ¤ D’accord. Mais on en reparle après. ¤

    ¤ Oui. ¤

    Un sourire les unit, puis Arya se leva et quitta son appartement, les yeux de Tynador rivés sur elle.


    La jeune femme marchait d’un pas décidé vers sa destination. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’elle avait un léger retard, mais rien d’insurmontable. Elle pressa encore le pas, faisant voltiger son long manteau noir et sa légère écharpe multicolore qui accompagnait harmonieusement ses longs cheveux blonds, tandis que ses pensées vagabondaient vers celui qu’elle devait rejoindre. Un léger sourire naquit sur ses lèvres, avant que des pensées plus soucieuses ne viennent l’effacer. Elle avait réussi à convaincre l’ex-chasseur de primes de lui donner des cours après l’épisode sur les hauts plateaux. Rien d’étonnant au vu ce qu’il s’était passé, et du marché qu’ils avaient conclu. Néanmoins, Arya était inquiète. Elle craignait que Liven ne retombe dans un état d’abandon complet à la magie noire, même si c’était peu probable. Elle voyait bien qu’il ne maîtrisait plus autant qu’avant ce domaine, et que leurs leçons étaient l’occasion pour lui de prendre sa « dose » de magie noire, comme le ferait un junkie avec sa drogue. Cette magie pouvait-elle par ce côté s’apparenter à de la drogue ? Sans doute. Mais alors il devait exister un moyen de s’en sevrer ? Comment ? Liven y avait-il déjà pensé ? Ou plutôt, avait-il déjà trouvé une solution ? Malgré ce qu’il avait déjà essayé ? Arya se mordit la lèvre. Ces pensées la préoccupaient plus que ce qu’elle ne voulait le laisser croire. Elle avait hâte d’atteindre un niveau comparable à celui de son mentor dans ce domaine, pour pouvoir le comprendre et… l’aider ? Les réflexions revenaient toujours à la même conclusion. Elle voulait comprendre, l’aider, faire quelque chose pour le libérer de cet étau psychologique qu’il s’imposait et qui le détruisait. Elle ne supporterait pas – ne supportait pas - de le voir dépérir. Oh, il le cachait, essayait du moins, mais elle voyait bien que Liven était plus fatigué de jour en jour, de séances en séances, qu'il perdait pied, emporté par un pouvoir qu'il ne contrôlait plus qu'à grand-peine et qui finirait par le noyer. Un frisson la parcourut de la tête aux pieds à cette idée. Non, elle devrait intervenir avant. Coûte que coûte. Quitte à faire quelque chose qui lui déplaise ? Quitte à ce qu'il lui en veuille ? Quitte à devoir s'abandonner à son tour à cette enivrante magie destructrice ?

    Un mouvement rapide décelé du coin de l’œil déclencha les réflexes d’Arya. Le mec qui voulait s’en prendre à elle s’était cassé les dents – littéralement – sur son bouclier. Il partit sans demander son reste, mais la jeune femme s’interdit désormais toute réflexion trop approfondie : les quartiers mal famés n’en étaient certainement pas l’endroit. Elle répondrait à ces questions plus tard. Après encore quelques minutes de marche rapide, d’une démarche assurée qui stoppait les velléités dans ce genre de quartier, elle pénétra dans un agglomérat de vieux bâtiments encore plus misérable que le précédent, qui semblait à peine habitée mais n’en paraissait que plus inquiétant. Peu rassurée mais n’en laissant rien paraître, Arya s’avança dans cette partie des quartiers mal famés où elle n’avait encore jamais mis les pieds. Liven s'était surpassé cette fois-ci, d'habitude les lieux d'entrainement étaient moins… glauques. Elle se promit de s’occuper de cette partie de la ville qu’elle avait trop longtemps négligée avec les Magassionnels dès qu’elle serait sortie d’ici. C’était certes bien pratique pour apprendre la magie noire puisque celle-ci n’était guère tolérée à Sannom, encore moins depuis l’invasion vampirique, mais c’était vraiment trop misérable. Il n’était pas normal que de tels endroits subsistent encore dans la capitale Gamaëlienne. Et cela permettrait peut-être d’éradiquer les Akaëliens qui se faisaient discrets et les Meragas qui ne l’étaient pas assez. Un sourire presque sadique apparut sur ses lèvres. C’était une bonne idée.

    Au détour d’un virage, elle reconnut la silhouette de Liven. Elle était surprise d’être arrivée là sans incident particulier. Pourtant, son apparence de personne aisée que ne parvenait guère à cacher son manteau aurait dû attirer les attaques. Elle ne pensait pas qu'elle fût si connue en tant que chef des Magassionnels que les gens n'osassent pas l'attaquer. Et puis il y avait toujours des Meragas trop prétentieux qui se croyaient plus fort que tout le monde. Non, elle avait dû faire preuve de chance, voilà tout. Ses yeux s'attardèrent sur le jeune homme qui l'attendait, adossé au mur, dans une attitude ramassée, de fauve prêt à bondir. Les traits de la jeune femme, qui s'étaient mués en sourire à la vue de son ami, se ridèrent dans une expression plus soucieuse. Liven était froid, distant, agressif. Aujourd'hui n'était visiblement pas une séance habituelle. Des tas de question se bousculèrent dans la tête d'Arya, qu'elle fit taire d'une pensée. Elle aurait ses réponses en temps voulu. En attendant, elle ferma son visage autant que possible, adoptant presque inconsciemment la même attitude que Liven, en moins prononcé. Son allure, qui avait ralentit en arrivant sur le lieu du rendez-vous, accéléra de nouveau. Quand quelques mètres seulement les séparèrent, le jeune home se décolla gracieusement du mur, dans un mouvement qui dégageait une impression de puissance, de dangerosité. Arya ralentit de nouveau, s'arrêtant presque. Elle n'était qu'à moitié surprise qu'il soit seul, encore une fois, sans son "chien" comme la haute sphère sannomienne se plaisait à l'appeler. Loghan allait améliorer ses techniques de traque, affecté à la garde de Liven qui semblait prendre un malin plaisir à le semer à chaque fois. Ce n'était pas les affaires d'Arya et de toute façon, celle-ci se réjouissait intérieurement que Loghan n'arrive pas à le suivre quand l'ex chasseur de primes se décidait à le semer. Elle n'avait jamais été d'accord pour qu'il ait un garde du corps, après tout, mais elle était tout de même curieuse de rencontrer cet homme un jour. En tous cas pour l'instant et dans ces circonstances, il était mieux qu'ils ne soient que tout les deux.



    - Viens avec moi.

    La phrase claqua dans l'air pur de l'hiver, sèche et sans appel. Surprise, la jeune femme se retint de justesse de protester contre ce ton qui, s'il était passablement neutre, ne cachait pas sa brutalité. Elle tint sa langue et s'exécuta, faisant taire une nouvelle vague de questions. Ils passèrent dans un jardinet qui n'avait pas vu de désherbant depuis un moment, montèrent une volée de marche en bois qu'Arya soupçonna de ne tenir que par magie, passèrent la porte d'entrée et s'arrêtèrent brusquement devant une autre porte semblable aux autres. Là, Liven s'effaça devant elle, découvrant un escalier qui descendait vers les profondeurs de la maison. Intriguée, Arya regarda son ami, et leurs regards se croisèrent. La détresse masquée, l'hésitation qu'elle lut dans les yeux de Liven fit rater un battement à son cœur et la convainquit de son choix. Il fallait qu'elle agisse. Elle tenait trop à lui pour le regarder sombrer sans rien faire. Il se détourna, troublé sans doute, et la jeune femme se tourna vers les escaliers sans l'once d'une hésitation, une détermination farouche ayant remplacé la curiosité dans son regard. Elle agirait. La miss descendit donc prudemment les marches, et se retrouva dans une pièce qui semblait plutôt étroite, toute en longueur et meublée en tout et pour tout d'une table, de quelques fauteuils et d'un miroir brisé. La lumière qui passait à travers les fenêtres tout aussi étroites que la pièce éclairait suffisamment la scène sans oublier de la rendre plus glauque et d'atmosphère plus sombre qu'elle ne l'était déjà. Cette pièce était à l'image de la maison, elle-même à l'image du quartier. Sinistre.

    La main de Liven saisissant son coude fit sursauter la jeune femme : elle ne l'avait pas entendu descendre les escaliers. Elle tenta de se tourner vers lui, de l'interroger du regard sur ce qu'elle voyait, mais la fermeté de sa poigne l'en empêcha et l'en dissuada. Il y avait quelque chose de pas clair dans tout ça. Dans les actes de Liven. Quelque chose qu'elle ne saisissait pas.


    - Réveillé ?

    Un morceau de verre lévita vers l'homme attaché à un fauteuil et lui entailla le bras. Un liquide rouge sortit légèrement de la blessure, et l'homme sursauta violemment. Arya ne put rien deviner quant à ce qu'il ressentait à l'instant présent à cause du sac noir qui lui couvrait le visage. Qu'est-ce que Liven avait à lui cacher ? Que ne lui disait-il pas sur la séance à venir ? Un mauvais pressentiment tordit son estomac mais sa détermination de flamba pas dans son regard, et son expression resta neutre.

    - On dirait bien.

    Elle tressaillit, seule réaction visible au ton froid, coupant et désintéressé de Liven, et se retint de se tourner vers lui – de toute manière la main qui immobilisait son coude l'en empêchait. Les quelques secondes qui suivirent furent saturées d'attaques et de contre-attaques échangées entre Liven et l'homme dans le fauteuil. Arya, passive, ne faisait qu'observer, refusant d'écouter ses doutes et ses questions. Liven prit la parole de nouveau, à son attention précise cette fois, refusant de la regarder. Elle, n'arrivait pas à détourner les yeux de cet homme.

    - Exercice n°1, la magie noire est une magie purement offensive. Dans un premier temps je veux que tu désamorces chacun des sorts qu'il tentera. C'est de la magie conventionnelle, rien d'insurmontable n'est ce pas ?

    En effet.

    Sa réponse était tout aussi froide et distante que la voix de Liven. Elle n'arrivait pas trop à savoir pourquoi elle adoptait la même attitude que lui, était-ce une forme de reproche pour ce ton qu'il adoptait envers elle sans la moindre explication ? mais cela lui semblait plus facile ainsi. Elle n'arrivait pas à se défaire de la désagréable idée que quelque chose d'horrible allait arriver, et que ce serait à elle de le faire. Et elle n'arrivait pas à se défaire de la désagréable idée qu'effectivement, elle le ferait.

    Comme s'il avait attendu sa réponse, les attaques de l'homme se dirigèrent aussitôt vers Arya. Celles-ci étaient plus puissantes qu'elle ne s'y attendait, mais sa captivité avait visiblement affaibli le prisonnier. Elle les annula et les contre-attaqua sans mal, pour finir par les désamorcer purement et simplement dès que l'idée du sort effleurait l'esprit de l'homme. De ce fait, elle devait approcher ses pensées d'assez près, mais entrer dans la tête des gens n'était certainement pas le point fort de la Magassionnelle et elle ne put rien deviner sur son état d'esprit : il était trop occupé à lancer ses sorts avortés dans l'œuf. Durant tout le temps avant que Liven ne les interrompe dans leur bataille mentale, elle ne se tourna pas une seule fois vers lui, ne prêta pas une seule fois oreille à ses questions et ses doutes. Elle avait une confiance aveugle en lui et ferait tout ce qu'il lui demanderait. A tort ?

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    Message  Liven Reaves Lun 25 Avr 2011 - 18:35

      La surprise ranima quelque peu l'étreinte désormais légère qu'il exerçait sur son bras. Ses doigts se crispèrent involontairement avant de se relâcher, instant fugitif et évanoui d'un sentiment inavoué. Doucement, ses phalanges glissèrent le long du tissu pour s'immobiliser à nouveau, prolongeant le contact d'une retenue avortée, comme s'il avait voulu raffermir sa prise avant de la laisser pour ce qu'elle était, quantité négligeable. Ses yeux caressèrent fugacement la découpe régulière de son visage, scrutant les traits qui le rassureraient et ne découvrant qu'un profil esquissé et effacé qui lui dérobait le regard de la jeune femme. La ligne de sa mâchoire et la courbe harmonieuse de sa joue demeurèrent aussi inexpressives que l'avait été sa voix, pâle éclat satiné qui se recouvrait de glace comme un timide soleil automnal assombri des rigueurs à venir. Liven préféra incliner la tête et baisser les yeux sur son épaule, fuyant un regret qu'il sentait poindre. Les fils d'or de sa chevelure s'y entremêlaient maladroitement, dans une grâce relâchée et informelle que la lumière froide incendiait à chaque courbe alanguie et paresseuse, arabesques éphémères qu'un instant magnifiait. Ses lèvres s'entrouvrirent. Vanité de l'effort, de son hésitation, de ce contact chaud, peu affermi, mal affirmé, de cette tentative avortée à prononcer des mots au demeurant muets, de ce regard absent qu'il cherchait à nouveau tout en craignant de le rencontrer. Il s'astreignit au silence, à une passivité qui, si elle n'était lâche, se devait nécessairement d'être courageuse. Impossible de le croire sans se voiler la face. Son trouble passager se dissipa à l'image d'un brouillard qu'une bourrasque glacée chasserait sans complaisance, l'abandonnant à nouveau à une immobilité dont la raideur se confondait avec la sévérité. Elle l'imitait, il était responsable. Ce n'était pas Arya qu'il venait t'entendre prononcer ces mots, refusant de s'interroger sur les raisons honteuses de cette mise en scène, acceptant une autorité aussi absolue que dangereuse. La jeune femme qui se trouvait juste devant lui venait de faire totale abdication de ses craintes, de ses préjugés, de ses réserves. Elle venait de lui offrir la volonté vierge et indicible d'un élève qu'il pouvait modeler à son image, qui l'était peut être déjà un peu. Elle venait d'abandonner ce qui faisait encore d'elle un être humain : la sensibilité, la compassion, l'empathie. Bientôt viendrait la culpabilité qui se heurterait à cette froide et distante perception de la réalité, à ces calcules pragmatiques et gelés qui étaient seuls garants d'une raison qu'assiégerait la folie d'une ivresse de pouvoir. Comment aurait-il pu ressentir la moindre fierté devant ce miroir de ce qu'il avait été ? Comment aurait-il pu s'enorgueillir de la détruire comme il s'était détruit ? Comment aurait-il pu ne pas être désarçonné par cette volonté implacable et aveugle, par cette confiance dangereuse dont il s'apprêtait à abuser ? Il aurait voulu qu'elle proteste, s'insurge, refuse qu'il la guide sur cette pente dangereuse. Il aurait voulu avoir la force de l'obliger à s'en détourner. Souhait idéal d'un autre temps qui ignorait tous les enjeux d'une telle décision. Un choix qui ne lui appartenait déjà plus, qu'elle venait de trancher de manière définitive.


      Le ciel azuré, prisonnier d'un carcan de glace, qu'abritait son regard, disparut un instant, occulté par des paupières lourdes de lassitude et de dépit. Elles se relevèrent pour découvrir des yeux alertes et inexpressifs, ceux d'un homme résolu que rien ne saurait fléchir, ceux d'un tueur méthodique savourant les derniers instants de sa victime. Sans prévenir, il relâcha instantanément les efforts qu'il avait déployé pour dominer le magas qu'il livrait en pâture à son impatiente élève. Arya était douée, indéniablement. Et cela ne le rendait que d'autant plus criminel en exploitant à de telles fins un tel potentiel. Sourd aux faibles protestations d'un souvenir de conscience, aveugle à la violence immorale dont il faisait preuve, passif devant inacceptable, soumis à la nécessité de l'objectif qu'il poursuivait, le jeune homme se laissait glisser sans retenue vers son passé. Il referma les yeux après seulement quelques secondes pour se concentrer exclusivement sur l'échange qu'il pouvait percevoir entre les deux magas, pour surveiller en spectateur satisfait le degrés de maîtrise de son élève. Elle s'amendait de cette tâche à la perfection, presque un absolu d'élégance et d'implacables réflexes. Les épaules de Liven se relâchèrent, sa respiration se fit plus profonde, les traits de son visage se détendirent au point d'un léger sourire en coin se glisse sur ses lèvres fines. Ce qu'il y avait de plus douloureux était d'avoir parfaitement conscience de l'horreur de ce qu'il ressentait sans en éprouver la crainte nécessaire pour l'éviter. Il savait que la honte l'étranglerait, que les remords l'étoufferaient, que le plaisir et la satisfaction qu'il en retirerait se changeraient en cendres pour ne devenir que regrets. Liven n'ignorait rien des risques qu'il courrait. Il ne s'y offrait que plus sincèrement. Doucement, son corps se pencha tandis que son dos se voûtait pour amener son visage plus près de l'oreille de la complice qui précipitait sa déchéance, suffisamment pour que son souffle calme et lent s'évanouisse sur la nuque de la jeune femme. Il avait besoin de cette présence, de cette proximité, pour s'amender peu à peu du jeune homme qu'elle connaissait si bien, pour maintenir l'équilibre indispensable qui lui permettrait de lui révéler cette partie de lui-même dont elle ignorait tout, pour ne pas perdre complétement le contrôle. Il n'était pas digne de sa confiance, il n'était plus digne de grand chose venant d'elle. Ses marques d'amitié et d'estime n'en étaient que plus précieuses... Il craignait leur rareté, finissait par vouloir les provoquer. Liven entrouvrit à nouveau les yeux, laissant ses pupilles vides trainer leur regard mort sur sa main, posée, doucement, sur son bras. Ressentait-elle la même chose que lui ? Sa présence l'aidait-elle à abdiquer toute émotion pour ne plus se concentrer que sur la tâche qu'il lui donnait ? En lui laissant la douloureuse responsabilité de leurs actes, se sentait-elle suffisamment impunie pour ne pas en souffrir comme il en avait souffert ? Son sourire revint, plus franc que le précédent, plus triste aussi. Il relâcha sa concentration, laissant à Arya le soin de maintenir le sujet de l'exercice dans l'incapacité de se défendre. Elle était prête pour la prochaine étape.


      - Continue.


      Atone, son murmure n'avait pas d'âme. S'il y avait de la délicatesse dans la volonté de ne pas briser ce silence, il y avait surtout quelque chose de malsain qui ne manquait pas de mettre mal à l'aise. Cet ordre, prononcé si doucement mais auquel l'on ne pouvait se dérober, ce ton, à la fois assuré et doucereux auquel il était difficile de résister, cette tessiture, grave et profonde tout en étant effacée et cassée dont on percevait la résolution accompagnant l'impératif. Liven ne s'exprimait jamais ainsi. Il était inimaginable de l'entendre adopter cette attitude en pareille situation. Il donnait une impression de normalité et de douceur qui contrastait si violemment avec la scène à laquelle ils assistaient qu'elle n'en était que plus irréelle, lointaine, impossible. La facilité avec laquelle il avait immédiatement adopté cette distance avec les évènements présents avait elle-même de quoi étonner, déstabiliser, effrayer. D'un mouvement aussi leste qu'à l'accoutumée, ses doigts glissèrent le long du bras d'Arya avant de l'abandonner, se rapprochant du corps de Liven qui venait de reculer. Il entreprit de tourner autour d'elle, s'arrêtant à mi-parcours pour s'adosser, flegmatique, au pilier sur la droite de la jeune femme, encore légèrement en retrait.


      -Ta contre-attaque peut aller beaucoup plus loin que ce à quoi tu es habituée. En désamorçant les sorts tu te les approprie fugitivement, tu annules l'énergie de leur propriétaire par la tienne. Maintenant je veux que tu retournes son énergie contre lui.


      Un instant de silence suivi ces premières consignes. Liven était conscient qu'aborder les règles différentes, complexes, voire contre-nature, de la magie noire pouvait déstabiliser un magas même confirmé.


      - Tu vas devoir désamorcer ses sorts d'une part, puis te heurter directement à sa volonté. Prends le dessus au moment où il lance une attaque, il y aura un transfert. Tu risques d'être déconcentrée, ne le laisse pas en profiter pour te blesser. Recommence autant de fois que nécessaire.


      Elle ne pourrait réellement comprendre qu'en essayant. S'approprier l'énergie d'un autre magas était non seulement très risqué mais aussi extrêmement violent. Le niveau de concentration exigé était si important qu'il s'attendait à venir en soutient à la première décharge qu'elle recevrait. Évidemment, ce ne serait rien en comparaison de ce que le magas agressé ressentirait... Une curiosité malsaine se glissa dans ses pensées. La laissant opérer tout en supervisant l'exercice en surveillant l'affrontement, il se rapprocha à nouveau les bras croisés sur sa poitrine, revenant derrière elle, l'observant avec la même fascination morbide d'un lion assistant à la première mise à mort d'une proie par son petit. Il s'immobilisa, les yeux plissés, contrarié devant la première tentative de la jeune femme.


      - Ne te précipite pas. Attend le bon moment et n'hésite pas une seconde.


      Son ton se fit plus dur, sa voix plus forte bien que calme. Laissant libre court à ses instincts, à la fois protecteur et manipulateur, il se rapprochera pour poser ses mains sur les épaules d'Arya, les pressant sans pour autant lui faire mal. Tranquille, posé, de plus en plus à l'aise à mesure qu'il ne se concentrait que sur la supervision de l'exercice, il referma les yeux pour être certain de ne rien perdre de l'action d'Arya.


      - Maintenant.


      Liven se tint prêt à prendre le relais de la pression qu'elle exerçait pour contrer les sorts de la victime, goûtant à l'avance à l'enthousiasme et à la surprise ravie qui ne manquerait pas de l'envahir pour peu qu'elle ait réussi. Cette même joie étonnée qui l'avait envahi et qui l'avait fascinée...

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